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Mory Sacko : Fourneaux horaires

Publié le Écrit par La Rédaction
Mory Sacko : Fourneaux horaires
© Lionel Guericolas Starface
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De cette photo peut-être lui a-t-on déjà trop parlé. Sûrement l'a-t-il d'ailleurs trop commentée. Faut-il la remettre, une fois encore, en haut d'une pile déjà bien épaisse. Hors la « grande fierté », hors la « folle émotion », que dire de celle-ci. Qu'ajouter si ce n'est une photo, pas comme les autres. Un peu plus rare, un peu plus forte. Une qui, en septembre dernier, l'affiche en cover d'un magazine de légende. Le grand Time américain. Lui, tout juste 31 ans, cuisinier français consacré parmi les cent personnalités montantes de la planète. Lui, rare tablier tricolore à se voir pareillement honoré. Lui, après Bocuse, après Guérard. Lui, Mory Sacko. Une reconnaissance de papier glacé, une jolie page de gloire qui n'interdit pas le malentendu. Derrière le recto, toujours un verso ! Image portée, image réelle, depuis que les chefs sont devenus stars, depuis qu'ils sont forts comme des clichés, à leur tour de ne pas s'étourdir à cette drôle de valse où votre vérité intime affronte l'idée que l'on se fait de vous. De Mory Sacko, les uns comme les autres se plaisent ainsi à raconter le jeune chef pressé, l'ascension éclair, les feux de l'ambition. Formules suspectes d'être trop faciles, oublieuses surtout d'un parcours nettement plus combattant commencé un 24 septembre 1992, à Champigny, Val-de-Marne, au-delà du périph parisien. Mory est le numéro 6 d'une fratrie qui grimpera à neuf enfants. La mère est sénégalo-malienne, passée par la Côte d'Ivoire. Le père, malien. Et la famille bientôt réunie un peu plus loin, en Île-de-France. Du côté de Tournan-en-Brie, un de ces bourgs de Seine-et-Marne dont on dit qu'ils sont les environs de Paris. Un village de campagne où le petit Mory pousse comme la joie de vivre. L'enfance, l'adolescence et ce qui va avec. Le foot, la musique, les copains, les mangas, la téloche. L'école sans dégoût mais sans plus d'appétit. Et l'appétit nourri au matrimoine africain des mafé, des djouka, des yassa, des thieboudienne, plats de cœur et de corps qui font les tailles hautes mais loin des étoiles, loin des Michelin. L'appétit pourtant titillé par les mangas, la téloche. C'est, un jour, Mory qui pousse un peu plus loin sa passion pour la pop culture nippone en avalant ses premiers sushis dans l'une de ces cantines à néon de zone commerciale.

Mory Sacko Photos
© Lionel Guericolas Starface

Mory Sacko, 31 ans, cuisinier français consacré parmi les cent personnalités montantes de la planète.

Ceux-là ne sont pas glorieux mais le frisson est là. C'est, un soir, Mory devant l'écran à avaler un de ces Sept à Huit dévoilant les coulisses des grands hôtels, les luxes sous cloche d'argent, les fourchettes à dix dents. Les images tiennent du fantasme mais la passion se révèle. Japon, palace, pourquoi, comment ? L'ado est en troisième, classe des couperets et des carrefours. La plupart des amis n'ont pas plus le sens de l'orientation que ceux qui les conseillent mais Mory, lui, a choisi. Pour un Japon de sushis, pour un rêve de palace, va donc pour la cuisine et le lycée hôtelier de Savigny-le-Temple. BEP, Bac pro, deux ans à se colleter les « chaud devant » d'u n Italien de banlieue. La carte pas franchement brillante, le décor dans le kitsch transalpin, l'ambiance dans les pastas du samedi soir mais le lieu dans l'énergie des services. Celle qui fait monter l'adrénaline et vaut bien ces 90 minutes de match entre potes. Le métier rentre. Sans tristesse, sans exaltation. Le restau est à Pontault-Combault et Pontault-Combault n'a rien d'un petit Paris. C'est par où l'étoffe, par où le rêve ? Du côté de ses premières lettres adressées au culot à l'attention de tous les chefs de tous les grands hôtels de la capitale. Il y a là comme une bouteille jetée à la mer. Première vague, aucun retour. Qu'à cela ne tienne. Quelques jours pour encaisser la déconvenue et bientôt l'orgueil de reprendre le dessus. Seconde vague et, cette fois, la réponse qui tombe. Espérée, attendue, positive.

Mory Sacko Photos
© Lionel Guericolas Starface

Bienvenue à l'Hôtel du Collectionneur. Adieu le spleen Pontaut-Combault, place au quartier chic du parc Monceau.

Révolution douce et première révélation d'un autre monde. Le commis découvre les brigades élargies, les cuisines rutilantes, les attentions portées, le sens du service, les premiers pas vers le luxe et la haute hôtellerie dans tous ses étages ; de l'omelette blanche parfaite du room-service jusqu'à l'assiette dressée gastronomique. Il n'a pas vingt ans et va bientôt croiser les fourneaux de ceux qui en ont, au moins, le double. De ces chefs qui vous sprintent une carrière. Aujourd'hui encore, Mory les récite dans l'ordre : Laurent André au Royal Monceau, Christophe Moret à L'Abeille du Shangri La, Thierry Marx au Mandarin Oriental. Sur ce dernier, Sacko à deux doigts de lâcher du Monsieur ! « Avec Marx, je découvre une cuisine en silence, calme, concentrée à la tâche, réunie autour d'un chef qui encourage, responsabilise, te pousse. Il te donne sa confiance et, du coup, tu trouves la tienne. » Jus qu'à oser les premières recettes perso et les retrouver à la carte du restaurant bis de l'hôtel. Jusqu'à se voir nommer sous-chef. Jusqu'à s'avouer qu'il est peut-être temps d'y aller. Vers où, vers quoi ? Avouons M6, Top Chef, saison 11. Là où les aînés tentaient les grands concours, sa génération sait le pouvoir du grand show. Beaucoup d'appelés, peu d'élus. Mory Sacko parmi ceux-là. « C' était une année tellement particulière. En plein Covid. Les restaurants étaient fermés, les gens confinés, les audiences folles. Et puis surtout quelle promo avec des talents très forts et des personnalités qui l' étaient encore plus.

Mory Sacko Photos
© Lionel Guericolas Starface

« J'ai contracté mon prénom avec un certain Yasuké dont on dit qu'il est le premier samouraï étranger. »

David Gallienne, Adrien Cachot, Mallor y Gabsi… » Éliminé en dixième semaine, il lui en faut à peine le double pour retrouver le vertige. Sacko dans le grand saut. Sacko dans son premier restau. Dans ce Paris devenu sien, dans le dos de Montparnasse, à l'enseigne intrigante de Mosuké. « Je voulais un nom qui me raconte en même temps que ma cuisine. Un peu comme un manifeste. Alors j'ai contracté mon prénom avec un certain Yasuké dont on dit qu'il est le premier samouraï étranger, un samouraï noir. » Et de reprendre à la carte cette triple culture : « une structure française, des références africaines, la passion du Japon. » Le gamin de Seine-et-Marne a pris le temps mais cette fois, il accélère. « J'ouvre mon adresse, le carnet de résa est plein, la critique se presse et je dois refermer au bout de quelques semaines pour cause de seconde vague Covid. Faut encaisser mais le plus fou est à venir… » À venir, le Michelin 2021 ! Sacko compte double. Lui, élu meilleur jeune chef de l'année. Son Mosuké, primo étoilé. Les applaudissements fusent, les premières dents grincent. Certains de s'interroger sur les raisons qui offrent pareil triomphe à une table quasi neuve.

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Bibendum serait-il, dans ce choix, plus opportuniste que réaliste ?

Deux ans plus tard, le Sacko d'aujourd'hui reprend ce que le Mory revendiquait à l'époque : « C'est eux qui me l'ont donné, pas moi qui l'ai volé. » Ainsi va le garçon. Une taille qui l'installe à hauteur de basketteur, les dreadlocks qui appellent les magazines de mode, le grand sourire qui finit de désarmer. Une drôle d'armure glamour derrière laquelle pourrait bien se cacher la voie du sabre. Samouraï qu'il disait ! Il y a bien de cela chez Sacko. Une manière de flegme à avancer sans se précipiter. Ni revanche mal lunée ni ambition mal placée mais, comme ce jour où il annonça à la famille qu'il se voyait cuisinier plutôt qu'au lycée, la même volonté à tracer son parcours sans trop s'inquiéter de ce qu'on en dira. « On pense souvent que les jeunes chefs en font trop, trop vite mais le chef d'aujourd'hui vit dans un nouveau rythme. Il faut savoir refuser les sollicitations inutiles mais surtout ne pas laisser filer celles qui vous challengent. » Ce qui a donné un été 2022 au premier restaurant Louis Vuitton au White Hôtel de Saint-Tropez. Ce qui donne aujourd'hui les Mosugo, échoppes new look dédiées à sa vision de la street-food, cette téloche qu'il n'a jamais vraiment quittée avec une Cuisine ouverte, hebdo sur France 3 et, depuis cet automne, la carte entre France, Afrique et Amérique au flambant et spectaculaire Lafayette's, rue d'Anjou, 8e . S'il est un ingrédient que Mory Sacko se plaît à composer, c'est peut-être le temps. Des journées moins sur le fil que tranchées comme la lame. « J'accorde quelques matinées et beaucoup d'après-midi à mes activités satellites mais, chaque jour, à chaque service, je suis dans mon restaurant. C'est là que je me confronte au réel. C'est le meilleur endroit pour ne pas s'oublier et imaginer la suite. » Et la sentence de trouver écho dans des assiettes qui, de mieux en mieux, impose une personnalité. Ainsi la soupe MSK délicieusement fiévreuse à mêler Saint-Jacques grillées, moules, huile de palme et Tombouctou farci, la sériole encore nacrée, brûlée minute à la flamme, ouvrant l'horizon de fenouil en texture, harissa, pickles de rose et sumac, et cette tarte au chocolat de Tanzanie et de Madagascar que vient affûter un wasabi en glace et mousse tiède cacao. D'autres bientôt, d'autres demain. Au poignet, la Carrera TAG Heuer lui va bien. Après tout, celle-là raconte les vertus d'une course culte où la vitesse n'a jamais interdit l'endurance. « Il faut savoir refuser les sollicitations inutiles mais surtout ne pas laisser filer celles qui vous challengent. »

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