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Françoise Sagan par Denis Westhoff : L’album secret

Publié le Écrit par La Rédaction
Françoise Sagan par Denis Westhoff : L’album secret
© Amaury Laparra et archives personnelles Denis Westhoff
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Les clichés ont la vie longue. Tant mieux, ils viennent corriger la légende dorée avec la lumière sépia ou bleutée du souvenir. Sur Françoise Sagan et son plaisir des voitures, son rapport à la vitesse, tout a été écrit. Par l’écrivain, elle-même, en premier. Ses phrases crépitent comme des sarments dans la cheminée de la maison de Cajarc : « En fait, la voiture, sa voiture, va donner à son dompteur et son esclave la sensation paradoxale d’être enfin libre. » La vitesse ? « Elle décoiffe aussi les chagrins. On a beau être fou d’amour, en vain, on l’est moins à 200 à l’heure », affirme la romancière. Ou encore : « De même qu’elle rejoint le jeu, le hasard, la vitesse rejoint le bonheur de vivre et, par conséquent, le confus espoir de mourir qui traîne toujours dans ledit bonheur de vivre. C’est là tout ce que je crois vrai, finalement : la vitesse n’est ni un signe, ni une preuve, ni une provocation, ni un défi, mais un élan du bonheur. » Tout a été dit. Ou presque. Beaucoup a été raconté. Pas mal aura été imaginé, enjolivé ou inventé. « Ma mère conduisait avec beaucoup de souplesse. Ce n'est que la nuit, sur l'autoroute, qu'elle se faisait plaisir en roulant vite. » Denis Westhoffen a l’habitude. Pour parler de Françoise Sagan, il était bien vu d’employer des superlatifs. Cela faisait vendre. L’excès devait lui coller à la peau. « Pour beaucoup de gens, ma mère jouait trop, buvait trop. Elle était entourée de trop d’amis, de trop de pique-assiettes. Elle devait donc nécessairement conduire trop vite... », analyse son fils. Bien sûr, sa mère donnait un peu le change, comme dans cet entretien accordé à la télévision anglaise, à bord d’une Citroën AX GTi filant dans les rues de Paris à vive allure. Pourtant, Denis Westhofftempère et rétablit la vérité : « Elle conduisait très bien et très prudemment, de manière très souple. Elle ne prenait jamais de risques inconsidérés ou irréfléchis. Elle aimait veiller au confort et au bien-être de ses passagers. Elle savait très bien conduire vite. Elle avait eu une expérience sur le circuit de Montlhéry avec une Gordini de course. Elle s’était même inscrite pour participer à la Mille Miglia, en Italie, en 1957. Enzo Ferrari était prêt à lui confier une voiture, pour profiter de sa célébrité. Mais, le 13 avril, elle a eu son accident. Juste un mois avant la course. D’ailleurs, c’est cette année-là qu’il y a eu l’accident terrible qui a mis fin à l’épreuve. Du coup, elle n’a pas pu donner suite. Bien sûr, elle aimait aller vite. Mais pas en ville. La nuit, sur l'A13, quand nous partions pour la campagne, en Normandie, comme il n’y avait personne et que la route était comme une piste, alors, elle se faisait plaisir. » Le plaisir : le maître mot. Les autos, comme le reste, devaient avant tout lui plaire. Tout devait être facile. Denis Westhoff s’en souvient très bien : « Ma mère avait un rapport sensoriel à l’automobile. Les cabriolets avaient sa préférence, pour sentir l’air dans les cheveux. Elle avait aimé ses Jaguar ou sa Maserati Mistral, elle adorait sa Lotus Seven. Sinon, elle laissait toujours la fenêtre ouverte, comme dans la Mercedes 280 SE, ou, plus tard, sa Honda Civic rouge. Les formes, les bruits, les odeurs.

D’ailleurs, même si elle ne s’intéressait guère à la mécanique, elle sentait les choses mécaniques. Elle savait ce qu’il fallait faire. Elle savait les laisser chauffer ou dire quand il fallait remettre de l’huile », avant d’ajouter : « Elle aimait que les voitures soient faciles à conduire. C’est pour cela qu’elle avait acheté la Ferrari California, avec son V12 plein de souffle. » A la parole, le fils de la romancière joint l’image. Il est vrai qu’il est lui-même un artiste photographe. Confortablement installé dans le salon intime de la maison où il a décidé de vivre depuis plusieurs années, au bord de la Sarthe, à un ricochet de l’Anjou, il ouvre les albums de photos soigneusement confectionnés par son grand-père. Les années figurent sur les tranches, marquées au fer à dorer. Sur les feuilles cartonnées couleur bistre, chaque instantané porte un numéro de référence. Plongée intime dans les plus anciens souvenirs. « Ma mère avait eu une expérience à Montlhéry avec une Gordini et s'était inscrite à la Mille Miglia de mai 1957... » 1936. Françoise Quoirez a soufflé sa première bougie. Kiki - c’est son surnom - n’est pas peu fière de sa voiture à pédales profilée. Tout va vite. Cela lui donne le sourire. Est-ce à Cajarc ? Sans doute chez sa grand-mère maternelle, Madeleine Laubard. La maison où elle est née, le 21 juin 1935, au premier étage, comme sa sœur Suzanne et ses frères, Maurice - hélas décédé en bas âge - ou Jacques. Été 1938, sur la route du Vercors, la petite fille pose fièrement devant la voiture familiale, immatriculée “FS”, c’est-à-dire en Haute-Garonne, selon l’ancien système minéralogique. Faut-il voir un signe dans cette coïncidence d’initiales ? L’auto est une Hotchkiss Cabourg. Ingénieur attentif à la modernité, Pierre Quoirez s’est offert cette berline de qualité, en version six cylindres. Un de ses proches amis est Jean Albert Grégoire, le précurseur de la traction et fondateur de la marque Tracta. En 1955, Françoise Sagan offrira sa notoriété fulgurante à cet ami de son père pour promouvoir la Grégoire Sport. Comment Pierre Quoirez ne s’intéresserait-il pas aux voitures ? Le bon père de famille conduit des berlines, mais il en choisit les mécaniques en amateur. Dans son garage se succèderont, entre autres, une aérodynamique Renault Viva Grand Sport, dessinée par Marcel Riffard, concepteur d'avions profilés, une Peugeot 402 limousine, à la ligne inspirée du courant Streamline américain. Puis il y aura une exotique décapotable profilée. Venue d’Amérique, la Graham-Paige Type 97 Supercharged de 1939, équipée d’un généreux six cylindres de 3,5 litres lui offrant 115 chevaux, a été carrossée en cabriolet deux places par Pourtout. « Ma mère aimait que les voitures soient faciles à conduire. C'est ce qu'elle appréciait avec sa Ferrari California. »

L’été 1953 s’étire interminablement lorsque la jeune Françoise en prend les commandes. « Elle avait 18 ans. Les vacances à Hossegor, dans une maison que louaient ses parents, lui pesaient, agacée par les railleries de sa sœur et de sa mère parce qu’elle était recalée pour sa première année de propédeutique. Ma mère a profité que mon grand-père doive rentrer à Paris pour partir avec lui. Elle venait d’avoir le permis de conduire et mon grand-père lui a confié le volant de sa Graham-Paige. Ils ont fait la route ensemble, cheveux au vent. C’était la fin du mois de juillet. Elle s’est retrouvée seule dans l’appartement du 167 boulevard Malesherbes où elle a parachevé le manuscrit de “Bonjour tristesse”. A partir de là, tout est connu » , précise Denis Westhoff. Françoise, devenue Sagan, va s’offrir d’autres décapotables. Mais la Graham-Paige ne disparaît pas. « Je me souviens très bien de cette voiture. Enfant, elle me fascinait. Elle était à la campagne, chez mes grands-parents, sous une housse qui était couverte de poussière. J’avais onze ou douze ans et elle me semblait immense. » Cette auto, objet de passation entre les générations de la famille Quoirez, a joué un rôle certain dans la constitution de l’univers automobile personnel de Denis Westhoff, tout autant que la Ferrari 250 GT California, bien sûr. « Elle m’a transmis le virus très tôt, c’est certain. Cela a été fulgurant, immédiat. J’avais quatre, cinq ans, et je voyais la Ferrari garée devant la maison. Je ne savais pas ce que c’était qu’une Ferrari, mais je savais que j’aimais ça. J’aimais les promenades avec ma mère. Je n’ai pas eu de répit. Les autos défilaient à la maison » , reconnaît-il. Le fils de Françoise Sagan n’a, bien sûr, pas connu la Jaguar XK 120 noire, acquise avec les droits d’auteur du premier roman. « Ma mère en rêvait. En allant au cours Louise de Bettignies, elle voyait ces autos chez un concessionnaire de la rue Jouffroy. A sa meilleure amie qui la voyait s’attarder devant la vitrine, elle répétait “Un jour, j’en aurai une”, avec détermination » , commente-t-il. La jeune camarade de classe s’appelait Michèle Bouton et elle se souvient très bien de son amie Françoise, âgée de treize ans, lui dire : « Je vais écrire un livre, il aura beaucoup de succès et j’achèterai une Jaguar. » Le rêve se réalise vite. Avec Françoise Sagan, tout devait aller vite.

Le livre est un succès dont on n’a plus idée. Rien qu’aux USA, il s’en est vendu un million d’exemplaires. Encouragée par son père - lequel considère que tant d’argent si vite gagné doit être immédiatement dépensé pour ne pas tourner la tête -, elle achète la Jaguar. A qui pouvait être la Panhard cabriolet Dyna Grand Standing apparaissant au détour des pages d’un album ? Mystère. Au roadster XK 120 avait succédé un cabriolet XK 140. Les petits sièges d’appoint à l’arrière permettent au grand chien blanc de grimper à bord. Une célèbre photo prise à Saint-Tropez en témoigne. La légende va bon train. Paul Giannolli invente celle de la jeune fille conduisant pieds nus. Ensuite, ce sera un roadster AC Ace. « Quand mon oncle a eu une des premières Countach, il a demandé à avoir un échappement libre. Ma mère disait : “Tiens, voilà Jacques qui arrive pour déjeuner...” » Sa Jaguar Type E était « sinon la première, du moins une des toutes premières vendues en France. Peu de personnes le savent, mais, un jour, elle a montré cette Type E à Georges Pompidou qui aimait aussi beaucoup les voitures. Ma mère était très généreuse et aimait faire plaisir. Alors, elle la lui a offerte. Mais le chauffeur qui devait amener la voiture sur l’Ile Saint-Louis a eu un accident sur le trajet, et Georges Pompidou n’a jamais eu la voiture ». Elle eut aussi une grande Buick « pour pouvoir partir avec tous ses amis quand bon lui semblait, comme ensuite les Mercedes », ajoute Denis Westhoff. Dans les voitures qui ont marqué sa jeunesse, il faut évidemment comptabiliser celles de son oncle. Un sacré tableau de chasse. Après une Aston Martin achetée en 1958 et une Ferrari 250 GT, il cède aux charmes des Lamborghini. Denis Westhoffn’a jamais boudé son plaisir : « Dès qu’il arrivait, que ce soit avec la Miura ou avec l’Espada qu’il avait achetée avec Maurice Ronet, je lui demandais d’aller faire un tour. Quand il a eu l’une des premières Countach, il a demandé à avoir un échappement libre. Ma mère disait : “Tiens, voilà Jacques qui arrive pour déjeuner...”, car on entendait le bruit à 10 km à la ronde » . La plus exceptionnelle sera la Lamborghini Flying Star II, dernière création de Touring, en 1966. Jacques Quoirez l’achète sur le stand, au salon de Turin. Denis Westhoffsort d’un album une photo le montrant devant le break de chasse, en précisant : « Il avait eu le coup de cœur, car il pouvait facilement mettre son chien à bord. » Bien des années plus tard, Denis Westhoff a eu le plaisir de retrouver cette auto unique, lorsqu’elle appartenait encore à un discret collectionneur parisien. Un goût dont il a aussi fait un art de vivre. Père de famille, il conduit aujourd’hui un élégant break sportif, tout en rêvant à la Lotus Esprit qu’il finira par s’offrir un jour, tandis que sa fille s’émerveille devant les Pagani. Esprit de famille.

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