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Historique : Jaguar E-Type

Publié le Écrit par La Rédaction
Historique : Jaguar E-Type
© Archives Grand Tourisme - Serge Bellu et DR
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AUX RACINES DU MYTHE

EN MARS 1961, DÉMARRA LA CARRIÈRE DE LA JAGUAR E-TYPE QUI ALLAIT FAIRE L'OBJET DE MULTIPLES VARIANTES ET VARIATIONS PENDANT PRÈS DE QUINZE ANS. POUR FÊTER SON SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE, NOUS AVONS PRÉFÉRÉ REMONTER AUX DIX ANNÉES PRÉCÉDENTES, CELLES DE SA LONGUE GESTATION.

Sur le parcours de la Jaguar E-Type, le 16 mars 1961 est une date charnière. C'est le jour où la diva fut révélée au public à Genève. Allaient suivre quatorze années au cours desquelles la E-Type s'est transformée, allongée, améliorée sur certains points et dégradée sur d'autres. Cette journée marque aussi l'aboutissement d'une décennie de métamorphoses audacieuses. Avec une implacable logique alphabétique, avant la E, il y eut la D et la C. Il n'y eut jamais de A ni de B. La lettre C accolée à la XK 120 signifie simplement “compétition”. Au vu du comportement encourageant des XK 120 aux 24 Heures du Mans 1950, Williams Lyons, patron de Jaguar, ordonne à ses troupes d'en extrapoler une variante sportive. William Heynes, le directeur technique, élabore un prototype qui reprend le moteur et les trains roulants de la XK 120 en les adaptant à un châssis tubulaire inédit. Pour l'étude de la carrosserie, il engage un personnage énigmatique. Né le 21 mai 1916 à Cromer, dans le Norfolk, Malcolm Sayer a suivi les cours d'ingénierie aéronautique du collège de Loughborough, près de Birmingham, puis il a travaillé pour la Bristol Aeroplane Company. Après la guerre, le ténébreux ingénieur s'est exilé en Iraq pendant plusieurs années avant de revenir en Grande-Bretagne en ayant, dit-on, parachevé ses connaissances scientifiques. Dès son arrivée chez Jaguar, en septembre 1950, Malcolm Sayer planche sur la C-Type. Disposant de très peu de temps, il se contient dans des formes simples. Trois voitures disputent les 24 Heures du Mans 1951 et la seule rescapée, pilotée par Peter Whitehead et Peter Walker, remporte la course. La C-Type décroche une deuxième victoire en 1953. Mais déjà Malcolm Sayer songe à une caisse plus travaillée sur le plan aérodynamique. Enveloppante, avec des phares profilés, un museau allongé percé d'une prise d'air ovale, des roues largement recouvertes et une poupe effilée : tous les traits saillants qui préfigurent la E-Type. .. Ce prototype XP11, terminé en octobre 1953, sert de brouillon à la nouvelle D-Type. Avec celle-ci, plus question de transiger, un châssis inédit, monocoque, est développé pour accueillir une caisse saisissante de pureté et surmontée d'une dérive qui file derrière l'appui-tête. Sayer retourne à Loughborough pour tester une maquette au 1/8ème dans la soufflerie du collège. Cette démarche singulière ne peut appartenir qu'à un ingénieur formé dans l'aviation. En 1954, Ferrari, Cunningham ou Aston Martin ignorent les arcanes de l'aérodynamique. Seuls Marcel Riffard pour Panhard et Dudley Hobbs pour Bristol versent au crédit de l'automobile leurs compétences acquises dans l'aéronautique.

Aux racines de la E-Type, il y a la révolutionnaire D-Type annonciatrice d'une riche carrière sportive.

Trois victoires au Mans - de 1955 à 1957 - stimulent les ventes de la D-Type fabriquée en 59 unités. Mais rien n'est plus éphémère que le succès. Début 1957, il reste 25 châssis invendus. Le patron a l'idée de les écouler en les convertissant pour un usage quotidien. Ainsi naît la XK-SS moyennant le montage d'un pare-brise, d'une capote, de vitres latérales, de pare-chocs et d'un porte-bagages. Mais le 12 février 1957, catastrophe ! Moins d'un mois après le lancement de la XK-SS, l'usine de Browns Lane est ravagée par un incendie. Plusieurs centaines de voitures sont endommagées ou détruites ! La production est interrompue pendant six semaines, mais la fabrication de la XK-SS, bloquée au seizième exemplaire, ne reprendra pas. En marge de cette XK-SS qui ressemble à un expédient, l'idée d'une remplaçante pour la lignée des XK (120, 140 et 150) a fait son chemin. Un premier dessin est griffonné en décembre 1956. Signé Sayer, c'est celui d'un ingénieur pas d'un artiste, il est maladroit, mais assez explicite pour indiquer un thème aux modeleurs. Dans l'atelier, il n'y a pas de styliste.

Œuvre d'un aérodynamicien, la E-Type s'est placée en marge de tous les mouvements esthétiques, de toutes les modes éphémères. Malcolm Sayer lui-même refuse ce qualificatif. « Je ne suis pas coiffeur ! » , proteste-t-il. Chez Jaguar, on entretient la tradition du carrossier, le métier original de Standard Swallow qui allait se muer en SS Cars puis Jaguar Cars au cours des années 1930. Il faudra attendre 1963 pour que soit mis en place un véritable studio de design chez Jaguar. .. mais avec un chef styliste, Doug Thorpe, toujours placé sous l'autorité d'un ingénieur. Le prototype E1A roule le 15 mai 1957. Ses lignes étirées par rapport à celles de la XK-SS tendent vers la silhouette de la future E-Type. En mai 1958, le style définitif du Roadster est figé. Reste à dessiner la version fermée. Contrairement à une idée répandue, le prototype E2A n'est pas un avant-projet de la E-Type de série. Élaboré après le gel du style au sein du département Special Projects, il est destiné à Briggs Cunningham, riche sportsman américain, fidèle au Mans depuis 1950. Il a convaincu la direction de Jaguar de lui concocter ce prototype doté d'un moteur limité à trois litres. Pilotée aux 24 Heures du Mans 1960 par Dan Gurney et Walt Hansgen, la Jaguar E2A aux couleurs américaines réalise le meilleur temps des essais mais abandonnera pendant la course. La E-Type aura mille autres occasions de s'illustrer à la scène comme à la ville.

JAGUAR - SIR WILLIAM LYONS MISTER JAGUAR

QUAND LA E-TYPE FAIT SON APPARITION, IL Y A TOUT JUSTE SOIXANTE ANS, JAGUAR EST DOMINÉE PAR LA PERSONNALITÉ DE WILLIAM LYONS, L'HOMME QUI AVAIT IMAGINÉ D'ÉCRIRE UNE DES PLUS BELLES LÉGENDES DE L'AUTOMOBILE À PARTIR D'UN MODESTE ATELIER DE CARROSSERIE.

Aucun doute, cet homme élégant et narquois qui accueille les visiteurs sur le stand Jaguar, au Salon de Genève 1961, est un sujet de sa très gracieuse majesté. Oui, elle est gracieuse la Queen Elizabeth II car elle porte déjà des tailleurs turquoise et des chapeaux couverts de bouquets garnis. À Genève, il a l'air content de lui, William Lyons, mais il n'est pas à l'aise, son milieu n'est pas celui de sa clientèle. Sa mère était fille de meunier et son père, musicien, tenait une modeste échoppe à Blackpool où les Lyons, venus d'Irlande, s'étaient installés. Sir William affiche toujours une fierté hautaine car il revendique sans vergogne la paternité de toutes les productions de Jaguar en omettant de mentionner le rôle de ses collaborateurs en charge des carrosseries, Cyril Gardner jusqu'en 1949, puis Fred Gardner. Ces hommes-clés ne sont pas des stylistes, mais d'authentiques carrossiers qui mettent en forme les idées du patron. Quand il avait vingt ans, William Lyons était dingue de motos, ce qui l'a conduit à fonder la Swallow Sidecar Company le 4 septembre 1922, le jour de ses 21 ans avec un autre passionné, William Walmsley. Sous cette enseigne, les deux compères vendent des motos et créent des sidecars joliment profilés. En 1926, la firme grossit pour effectuer des travaux de carrosserie sur quatre roues. Son premier sujet de réflexion, dévoilé en octobre 1928, porte sur la minuscule Austin Seven dûment pomponnée et arrondie. William Lyons n'en reste pas là et avoue son envie de développer ses propres modèles. Sa SS1 est présentée au Salon de Londres 1931 dans l'espace dévolu aux carrossiers car elle emprunte sa base mécanique à la marque Standard. L'étape suivante est décisive avec la constitution en octobre 1933 de la SS Cars Ltd, reconnue comme constructeur. Deux ans plus tard, la gamme s'organise autour des modèles nommés “SS Jaguar”. Après la Seconde Guerre mondiale, les initiales S.S. sont définitivement abandonnées pour des raisons évidentes et la nouvelle raison sociale Jaguar Cars Ltd est enregistrée en mars 1945. Fort de son passé de carrossier, orgueilleux et autoritaire, William Lyons oriente le dessin de tous les modèles. Il pallie ses faiblesses en regardant autour de lui, la XK 120 est clairement inspirée par la BMW 328 “Bügelfalte” engagée aux Mille Miglia 1940. En revanche, pour les voitures de compétition et la E-Type qui en découle, William Lyons se repose sur Malcolm Sayer. Pour Jaguar, et donc pour Lyons, la déconfiture commence en juillet 1966 quand un fâcheux rapprochement avec la British Motor Corporation débouche sur la formation de la British Motor Holdings, suivie deux ans plus tard par l'agglomération de la monstrueuse British Leyland Motor Corporation. Perdu au sein de ce groupe tentaculaire, hétéroclite, incohérent, étatisé, Sir William prend le large et quitte définitivement le navire en 1972. Il vivra jusqu'en février 1985 sur son domaine de Wappenbury Hall à Leamington Spa. La naissance et l'expansion de Jaguar sont indissociables de la personnalité de Sir William Lyons, autocrate et visionnaire.

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