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Thierry Des Houches : Voyage en eaux fortes

Publié le Écrit par La Rédaction
Thierry Des Houches : Voyage en eaux fortes
© Daniel Beres
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Il est assez fréquent de trouver chez les artistes une vraie sensibilité pour l’automobile, y percevant sans doute, et dans les formes, et dans les rêves quelles communiquent, un écho à leurs inspirations et perceptions personnelles qu’ils ont du monde qui les entourent, et au sein duquel ils voyagent. C'est, sans conteste, le cas pour Thierry des Ouches, photographe, cinéaste et écrivain. Ce monsieur, libre comme l’air, reconnu par ses pairs les plus renommés, mène une vie fantastique où se mêlent son regard sur tout ce qu’il approche et un talent pictural hors pair, le résultat, ou plutôt les composantes d’un parcours hors des sentiers battus tout au long de sa carrière. Lors de notre entretien, Thierry des Ouches s'est livré sans histoire, si ce n’est la sienne qui suscitera bien des inclinations chez ceux pour qui la photographie est véritablement un art de l’instant, la capacité à saisir la moindre chose en une fraction de seconde où se condense une part d’éternité. Mais avant de parler de son dernier livre Silences, paru en septembre aux Editions Hartpon, il faut remonter le temps pour mieux comprendre le personnage. Peu doué dans les études qui ne le séduisent guère, il se lance dans la vie à 18 ans. Attiré entre autres par une envie de profonde liberté de penser et d’agir, il sera photographe.

« J'ai eu la chance de grandir dans une famille dans laquelle la sensibilité au sens large et l’expression artistique étaient très présentes. Une de mes grand-mères avait fait les Beaux-Arts, l’autre était premier prix de conservatoire de piano. Mon père, photographe amateur doué et investi, me faisait partager sa passion. C’est donc naturellement que, dès l’adolescence, j’ai commencé à photographier les gens, les rues, les lieux, développant et réalisant mes premiers tirages dans la salle de bains d’un copain, avant de me construire, grâce à des parents compréhensifs, un mini labo dans ma chambre de 11 m2 ! En totale liberté, j’allais vers tout ce qui m’inspirait avec un regard très personnel, dont je n’avais absolument pas conscience à l’époque. » Liberté, voilà le maître mot de Thierry des Ouches qui a toujours vécu loin des attentes que le monde pourrait ou non porter à son œuvre. Il n’y a donc rien d’étonnant que ses débuts dans la photographie professionnelle soient teintés de romanesque et de conviction pour entreprendre. Il se constitue un dossier fait de photographies montrant son univers, sans tenir compte des modes ou inspirations du moment. Armée d’une belle énergie, il va au culot à la rencontre des plus grands directeurs artistiques de Paris présenter ses réalisations. De belles commandes arrivent rapidement, lui laissant par ailleurs du temps pour travailler à ses recherches personnelles, toujours encouragé et soutenu par sa femme.

La rouille poursuit son œuvre et nous plonge dans de longs silences…

Ainsi, très vite, il sera exposé et se fera connaître comme le photographe libre et indépendant qu’il est. Des quêtes qui vont le conduire à être édité pour des livres sur des thèmes aussi divers que Requiem , Vaches, Femmes ou France et bien d’autres encore qui le verront adoubé par de grands noms de la photographie, de la littérature et du monde des arts. Ainsi, Elliot Erwitt, photographe humaniste d’une dimension phénoménale, écrit-il en préambule de l'ouvrage Vaches : « ... en regardant les photographies de Thierry des Ouches, je réagis à ses subtiles images qui, quels que soient les sujets, sont des documents magnifiques et substantiels. Dans ses images, on trouve le style, l’âme, la composition et ce petit plus de magie, essentiel et si difficile à saisir, qui donne une vie aux images et les rend inoubliables. » Ailleurs encore, en préface de Requiem , un autre nom panthéonisé de la photographie, le très grand Jean-Loup Sieff, dit de lui : « Moi qui ne fait que des photographies en noir et blanc, j’ai regardé son travail empli d’appréhension et j’ai miraculeusement découvert que la couleur existait et pouvait même être utilisée avec intelligence et sensibilité. Mon austère univers en noir et blanc s’écroulait. Oui la couleur pouvait ne pas être anecdotique et devenir même essentielle ! J’en veux beaucoup à Thierry des Ouches d’avoir miné mes certitudes. .. » On peut penser que cette dernière phrase citée est avant tout un sincère compliment. Mérité il est vrai, tant TdO manie ses boîtiers et supports - argentiques au début de sa carrière puis numériques depuis une dizaine d’années - comme un peintre sa palette avec ses propres perceptions de la couleur. A ce propos, l’auteur tient à préciser que : « Je ne retouche que très peu mes images sur le plan de la couleur ou des cadrages... » L’artiste prouve ainsi, s’il en était besoin, qu’il cultive aussi une certaine élégance et noblesse de son art, doublées par une vision exacte et très sensible de ce qu’il emprisonne au cœur de ses images pour mieux la laisser vivre. Des qualités soulignées dans la préface du livre France par un écrivain dont on connaît l’acuité du verbe, Philippe Delerm : « ... les sensations débordent de (ses) images car ses images sont la vie. L’atelier sent l’essence, on entend les bruits d’été des boules de pétanque sur la place au grand soleil, les petits hôtels déglingués et les verrières immenses des façades modernes ont le même frémissement, une espèce de pulsation sourde, irrigant les artères de l’espace. Les hommes, les femmes, les enfants et les vaches se promènent en confiance dans leur territoire. Carottes, navets, les rides à la surface d’une main, un passage à niveau, un ballon de rouge, des paquets de Gitanes, des voitures abandonnées.

 Ce temps vivant, complice et philosophe, inspirant, peintre à la palette infinie. Un petit clic et je l’immortalise. Silences !

La rouille est belle avec le bleu. Les routes de campagne sont tragiques parfois, luisantes, abstraites sous la pluie glacée. .. Il y a comme ça des évidences : dans ses photographies, le temps s’arrête et palpite à la fois. » Pourrait-on rêver de plus belles lignes pour célébrer le travail de ce photographe très hautement parrainé ? A ce propos, Thierry des Ouches précise : « Non, je ne connaissais pas personnellement Erwitt, Sieffu Delerm. Lors de la création de mes livres qu’ils ont par la suite préfacés, je leur ai simplement envoyé mon travail accompagné d’un courrier pour leur demander, très humblement, s’ils accepteraient d’écrire sur le travail que je leur soumettais. Et ils ont accepté. Ce fut pour moi comme une reconnaissance de paternité, un booster qui m’encourageait à continuer dans la voie que j’avais choisie, une légitimité qui donnait encore plus de sens à ce que j’entreprenais. La photographie est un métier extrêmement solitaire, aussi lorsque l’on frappe à la porte d’un grand artiste et qu’il accepte de cautionner votre travail, on se sent un peu moins seul. .. » Il faut aussi retenir de ces propos saluant la grande personnalité de son œuvre une mise en évidence de cette palette qui n’appartient qu’à lui. Thierry des Ouches aime la campagne, surtout à l’automne et en hiver. Pas étonnant dès lors qu’il réside dans une très bucolique campagne française pour laquelle il ressent « une douce attirance. » Il explique : « Ma vie professionnelle m’a donné l’opportunité de faire beaucoup de voyages. L’un d’entre eux m’a particulièrement marqué, l’Ecosse, dont je suis tombé sous le charme. Les lumières qui s’y déploient, la multitude des verts et bruns, cette atmosphère, ces ambiances uniques, si typiquement britanniques. Grâce à ce voyage et à tous ceux que j’ai pu effectuer en Grande-Bretagne, j’ai découvert l’univers de l’automobile anglaise. Ces dernières me semblaient avoir une âme, une signature qui allait bien au-delà de simples voitures. Elles incarnaient à mes yeux un certain art de vivre : Jaguar, MG, Aston Martin , Bentley. .. Une époque où chaque pays portait sa “signature automobile”. Il en était de même aux Etats-Unis, en Italie, en France. Les pays transpiraient leur identité au travers de leurs voitures, et ce dès la descente de l’avion. » Dans son lieu de vie où il nous a reçus, on retrouve cette ambiance faite de vieux cuir, d’odeur de feu de bois et de chien humide, de bon whisky jamais bien loin, de meubles patinés qui sentent bon la cire. Qu’il circule au quotidien dans sa propriété au volant d’un vieux Land Rover, toujours accompagné de son Retriever, nous confirme son appétence pour une vie faite de confort. .. à l’anglaise. A propos d’automobile, il nous semble important de rappeler que Thierry des Ouches, sous la commande de l’agence Publicis, réalisa en 1992 la campagne des “Adieux de la 4L”, travail remarqué qui lui valu plusieurs distinctions dont un Lion d’Or à Cannes.

Sa palette est unique et d’une sensibilité toute en douceur surannée…

Ces onze photographies parues en noir et blanc en une seule édition dans le journal Libération ont marqué les esprits. .. et son parcours. tout comme les innombrables expositions dans différentes galeries mais aussi en plein air, aux Invalides ou sur la place Vendôme à Paris ou encore à la BNF, à l’occasion de la parution de son livre France et de l’entrée d’une partie de son œuvre dans les collections permanentes de la bibliothèque. Des travaux personnels dont le dernier en date, son livre Silences , risque une fois encore de faire parler de lui. Ici sont réunies, ce que l’on pourrait définir comme des haïkus photographiques, des images d’une saisissante sensibilité grâce auxquelles le photographe nous livre une part très intime et poétique de lui-même. Un ouvrage conçu et réalisé comme un objet rare qu’il présente ainsi : « Se plonger dans le silence, c’est conjuguer au présent, au passé comme au futur le temps qui nous accompagne. Ce temps qui change les couleurs, parfois les fige avant de reprendre son souffle pour nous renvoyer dans nos mémoires ou nous projeter dans l’avenir. Il s’inscrit, sculpte, s’incruste, pénètre, caresse ou épouse l’âme et la matière. Il peut se faire chantant, enivrant, fragile, arrogant, assassin. Il passe, s’arrête, s’étire, toujours en communion avec l’homme qui contemple son œuvre, impuissant, mais témoin. Je l’aime ce temps qui défile à pas feutrés. Ce temps vivant, complice et philosophe, inspirant, peintre à la palette infinie. Un petit clic et je l’immortalise. Silence ! » Thierry des Ouches, élevé au grade de Chevalier des Arts et Lettres en 2002, promu en 2018 Peintre officiel de la Marine, auteur de trois romans qui ont connu un vrai succès, cinéaste engagé auprès d’artistes qui luttent contre le Sida ou l’enfance maltraitée, est un personnage d’une richesse troublante et d’une évidente force de liberté. A découvrir, à travers cet ouvrage qui nous a inspiré cet article et ses nombreuses réalisations compilées sur son site internet ou sur sa page Instagram. Un véritable voyage dans son univers poétique et chromatique peuplé de charmes.

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