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Le Dowty de Christophe : Turbo d’eau douce

Publié le Écrit par La Rédaction
Le Dowty de Christophe : Turbo d’eau douce
© Marc de Tienda
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Jeune, je fermais les yeux sur le balcon de mes grands-parents à Alès et j'essayais de deviner les marques des voitures qui passaient, aux sons des moteurs. » À 8 ans, Christophe Bergogne plonge avec délectation dans un univers vintage duquel il ne sortira jamais. À 18, ses premières voitures sont issues d'un choix décalé, une Visa puis une 2CV. Pas vraiment la course aux chevaux, mais des destriers qui ne l'empêchent pas d'être ultra-fan de tout ce qui est en rapport avec les créations “Mid-century” jusqu'aux années 90.

Archi, objets mobiliers, véhicules, tout ce qui est atypique ou juste original retient son intérêt. Outre l'US lifestyle, Chris est passionné par tout ce qui tourne autour de la N7 et des voitures qui l'ont parcourue. Ce gourmand invétéré est aussi un “music lover” de cette époque, “vinyl only”, avec une activité qui lui confère une certaine notoriété. Durant treize ans, il organise des “garage parties” pour aller à la rencontre d'autres passionnés ou juste partager de bons moments autour d'un groupe de musique (quand il ne fait pas le DJ aux platines) d'artistes peintres ou plasticiens. À la première, 70 mordus s'invitent, à la treizième édition, plus de 340 personnes font la “java” dans son hangar loft expo de 300 m2 . Organisé avec ses acolytes de la “Fine équipe”, un marathon de danse sur 24 heures permet de collecter des fonds à but caritatif. Une façon de s'amuser tout en étant utile à un certain nombre. L'homme est donc facile à rencontrer et le voyage dans le temps quasi naturel. Pour l'instant, le Corto avec son caban est ancré à Gaillac dans le Tarn, région qu'il apprécie pour sa qualité de vie, son panorama, et toute la douceur qui s'y trouve.

Partageant un café à l'intérieur de sa maison du siècle passé, Valeria, une chanteuse avec qui il partage la scène quand il endosse le rôle de DJ, lui rappelle la prochaine animation. Accoudé à un meuble Mado des années 50 « en bois celui-ci pas en formica », notre Corto vous emmènera dans son monde sans que vous vous en rendiez compte. La grosse Avia de 62 complète un peu la déco avec les plaques ou luminaires des 70s. En posant son gant de base-ball et sa balle, il fait enfin le lien avec le monde du bateau. À Gaillac, le Tarn est bien là, mais plus souvent sur les routes, peu de chances d'être sollicité par le goût du large d'autant qu'un Truck Dodge W700 de 1967 arrive avec sa citerne en moins pour une transformation en scène mobile. Un de ses potes connaissant sa gourmandise en matière “d'objets” - et l'homme est difficile - lui indique une annonce concernant une coque en bois. Pas de marins ou de passé de navigateur dans la famille, juste le permis bateau passé à quinze ans au cas où. Pour un premier bateau, pourquoi s'intéresser à un bidule qui toise juste 3,80 mètres, se targue d'être un mini hors-bord avec un nom terroir, Matonnat ? Mais voilà, l'ensemble rentre dans ses critères et le côté atypique emporte le Tarnais d'adoption.

« Quand l'objet rentre dans mes critères, je peux me décider très vite dans l'achat, comme avec ce Turbocraft. »

Un look mignon, une finition irréprochable, une technologie avant-gardiste. Le n° 5 de la série I en plus. Plus tard, quelques posts Facebook sur le fameux Matonnat l'amènent à échanger avec William Faure, un restaurateur de bateaux aussi “barré” que lui ! Certains pensent qu'il ne faut guère de temps pour prendre les grandes décisions, pour le coup, le Dowty rarissime que William propose à Chris change de mains très vite après une présentation à distance des plus sommaires. Une vague photo d'un Dowty plus près d'une épave de la dernière guerre et une vidéo publicitaire d'époque embarquent notre homme sur une route plus mouillée. Un coup de cœur dont il se réjouit avec une certaine émotion, surtout lors des premiers essais. Le propriétaire précédent, Gérard Mermet Maréchal, a partagé la joie des deux fadas lors des premières encablures. Un tel empressement sur un bateau très bizarre pour l'époque est une évidence pour Chris. Un look mignon, une finition irréprochable, une technologie avant-gardiste. Ce Dowty Turbocraft de 1960 est propulsé par turbine et n'a pas de gouvernail. Celui-ci est le numéro 5 produit chez Dowty à Gloucester, sans doute le dernier de la première série en état de naviguer en Europe et peut-être même hors du Vieux Continent. Ce canot au gabarit modeste, 4,42 mètres de long pour 1,52 mètre de large et 0,27 centimètre de “quille” à l'arrêt, ne paye pas de mine et pourtant la légende parle d'un prix à l'époque voisin de celui d'une Aston Martin. Et pour cause, d'après William qui a passé 600 heures à le remettre à neuf, tout semble avoir été fait sur mesure avec une turbine à deux étages signée Dowty-Hamilton produite avec l'esprit industrie aéronautique.

Les pales intérieures sont ajustées comme en horlogerie et l'effet d'accélération des particules n'est effectif que si l'ensemble est remonté comme à l'origine avec une minutie helvète. Comme en aéro, tout est calculé au plus juste et allégé au maximum. La conception de ce premier bateau à turbine n'a pas été négligée et l'ajustement des pièces requiert un soin tout particulier. Il fut qualifié de bateau à réaction à l'époque, et ses coûts de production ont poussé Dowty à céder les brevets de fabrication à Buelher, laissant partir ce concentré d'ingéniosité aux US. Ce canot “speedé” a eu comme porte-drapeau la famille de Malcolm Campbell (le chasseur de records de vitesse sur l'eau), et pour cause, partageant le même designer de coque, Fred Cooper. Ce dernier avait signé les fleurons Miss England I et II, et Bluebird pour Malcolm Campbell. De quoi donner des envies d'achat au prince Charles comme à Patrick McGoohan, l'acteur désespéré de la série culte The Prisoner. Cette petite modernité a donc su charmer bien des marins originaux avec un moteur pourtant presque désolant de renommée.

« J'ai été surpris par l'aisance de la prise en main du canot. À part la marche arrière peu réactive, la navigation est à la portée de tous. »

Propulsé par un Ford Zephyr de 2,5 l pour cette série Mark1, Dowty s'est chargé de le “mariniser” et même d'accroître la fiabilité de l'ensemble moteur-turbine. Le 6 cylindres a vu sa puissance réduite à 70 chevaux, pour être en harmonie avec les flux à accélérer entre les pales de la turbine. Réflexion et sagesse d'une conception d'ingénieur aérien : ni trop ni trop peu. Après plusieurs tests, les 58 km/h s'accrochent sans souci comme stipulé au catalogue d'origine et cela semble largement suffisant pour les sensations. Cette coque planante n'a point besoin de plus. « J'ai été surpris par l'aisance de la prise en mains du canot », déclare Chris. Déjà l'effronté démarre au quart de tour, la sécurité a été accrue avec la pause d'un ventilateur de cales évitant une satellisation de l'équipage en cas de présence de vapeurs d'essence trop importante. À part la marche arrière à appréhender car peu réactive, la navigation est à la portée de tous.

C'est avec une mine hilare que notre Corto de Gaillac se lance sur le Tarn, narguant le château de Lagrave, la poignée de gaz dans la boîte à gants, une main sur un volant/barre style Studebaker Commander des sixties. Sans nul doute, Fred Cooper savait dessiner des coques planantes même avec un solide canot en fibre de verre tarant 650 kg. L'inclinaison de 10 ° après les surfaces planantes confère une maniabilité dont profite Chris allègrement en virant à plat sans aucune traîtrise du Dowty quasiment sur cinq mètres. Autre subtilité après l'absence de gouvernail, une barre gérée par câble sur un quart de tour. À l'arrêt, de la souplesse qui se mue en dureté au fur et à mesure de la vitesse prise. Que demander de plus ? À quoi pense le Corto tarnais, bercé par le feulement sourd du Zephyr sous Lagrave ? Tout ce temps à attendre ce joli canot, pour une restauration à l'origine avec des pièces parfois essaimées dans les méandres des circuits des collectionneurs. À l'arrivée, un joyau de canot sauvé de l'oubli, dans une exigence de qualité et de soin partagé par Chris et William. D'après ce dernier, ironisant : « Chris m'a obligé, avec le sourire, à aligner toutes les fentes des vis du bateau dans le sens de sa longueur. » Jamais dans l'ennui, naviguer sur le Tarn ouvre des perspectives que Chris ne soupçonnait pas sur les routes et lui ouvre un plaisir de découverte tout en “cruisant” vintage. « J'irais bien à Albi défier les murs de la cité », se dit notre marin bien au sec et au chaud dans sa vareuse. Une virée pour soi tout simplement, cheveux au vent, et un petit rockabilly en tête. Un petit bonheur façon Chris. ..

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