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Loïck Peyron : Surdoué des mers

Modifié le Écrit par La Rédaction
Loïck Peyron : Surdoué des mers
© Éric Catarina/Starface, Yvan Zedda/BPCE, Alexis Courcoux & DR
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Il est sans doute notre marin le plus capé, à tel point qu'il a fait des compressions de ses trophées pour qu'ils prennent moins de place. À son palmarès, trois Transat anglaise, quatre Championnats du monde ORMA, deux Transat Jacques Vabre, une Barcelona World Race, une Route du Rhum, pas moins de huit trophées Clairefontaine, le Trophée Jules Verne en 2011, sans oublier sa participation à l'aventure de la Coupe de l'America en 2012 avec l'écurie suédoise d'Artemis Racing. Il a traversé tant de fois l'Atlantique à la voile qu'il n'en connaît pas le nombre précis. 54 ? 55 ? « Au-delà de 50, c'est comme les bougies, on ne compte plus. » S'il a appris à naviguer avec son père, capitaine au long cours, il a fait ses premières armes de régatier à 22 ans dans la transat en double avec Mike Birch, le célèbre vainqueur de la première Route du Rhum, qu'il décrit comme un cow-boy, un aventurier canadien, un taiseux comme Tabarly mais qui lui a tant appris. Infatigable coureur des mers, il continue à 63 ans à participer à toutes les courses et sur toutes les montures possibles. Il passe de la barre de Zoulou, un Mod 70, trimaran ultime construit chez CDK Technologie pour rafler la Saint-Barth, à celle d'un Open 7.50 avec une bande de copains pour faire la Spie-Ouest France. « Je le fais depuis toujours. Je suis très souvent invité et c'est formidable d'avoir l'opportunité de naviguer sur tout ce qui bouge depuis quarante ans. »

La prochaine course inscrite à son agenda bien chargé sera la Maxi Yacht Rolex Cup à Porto Cervo à bord d'un Gunboat. C'est d'ailleurs à l'occasion de la mise à l'eau de Highland Fling 18, le premier Gunboat 80, que nous l'avons rencontré. Le marin a tissé un lien très spécial avec le chantier de La Grande Motte. Comme il le dit lui-même, il fait un peu partie de la famille. Sa rencontre avec Xavier Desmarest et Stéphan Constance, les patrons du groupe Grand Large Yachting auquel appartient Gunboat, remonte à plus de quinze ans, par le biais de son frère Stéphane Peyron, navigateur et documentariste.

« Le regard du marin est important. Il faut que ce soit manœuvrable par un équipage très réduit, cela rejoint l'expérience du solitaire. »

Il avait à l'époque un projet de long métrage dans le nord du Groenland, avait besoin d'un bateau de grand voyage et s'était rapproché du chantier Allure qui venait d'être créé par les deux hommes. « On s'est donc retrouvés les trois frangins à investir dans un Allure 44. Par la suite, le groupe a fait des acquisitions dont Outremer qui était un peu plus dans mon ADN multicoque. Ils cherchaient à l'époque un parrain pour un modèle et voilà comment l'histoire a démarré. Ici je suis un peu l'inspecteur des travaux finis. Le regard du marin est important. Il faut que ce soit manœuvrable par un équipage très réduit, ce qui rejoint l'expérience du solitaire qui ne peut pas courir dans tous les coins. L'ergonomie d'un plan de pont me passionne et c'est là-dessus que j'interviens. On est une espèce un peu rare. On ne peut pas être bon partout, mais on est mauvais nulle part. C'est l'obligation du marin solitaire. Quand tu es tout seul, il faut tout faire, pas forcément bien, mais tu es obligé de t'intéresser à toutes les phases du jeu, de trouver un partenaire, de dessiner ses bateaux, de les construire de A à Z, de réparer des voiles, de faire cuire les œufs... et de gagner des courses accessoirement. C'est un métier très complet. »

En 2016, Grand Large Yachting rachète donc Gunboat, un chantier américain qui construit des catamarans aussi légers que confortables, et donc aptes à concilier aussi bien la course que la croisière (voir BH 04). Un mélange parfait pour Loïck Peyron ! Il salue au passage le courage, voire le coup de génie de Xavier Desmarest et Stéphan Constance qui ont su voir tout le potentiel de ce chantier alors presque inconnu en France.

« Gunboat, c'est une micro-niche. Tu as les mêmes sensations que j'ai sur mes formules 1 des mers, mais je n'ai pas de machine à café, ni de machine à laver, ni la climatisation à bord. Ce sont les seuls à pouvoir faire ça. Et naviguer à bord de ces bateaux est trop facile. Il n'y a plus qu'à appuyer sur des boutons, ce qui n'est pas le cas sur nos bateaux de course. C'est un exutoire incroyable d'enrouler un geenaker au bouton alors que moi, je mettais une demi-heure à le faire sur Banque Populaire dans la Route du Rhum. »

Et que ce soit pour Gunboat ou Outremer, il retrouve les mêmes architectes avec qui il travaille depuis trente ans sur ses bateaux de course, à savoir notamment le cabinet VPLP. Ce pont entre la voile de plaisance et la voile de compétition qui lui plaît tant est particulièrement vrai pour Gunboat. « Ils sont en train d'attirer des propriétaires qui ne voulaient pas entendre parler de multicoques de croisière parce qu'ils ne voyaient que des caravanes qui ne marchent pas à la voile. Et d'un point de vue environnemental pur, on fait beaucoup moins tourner les moteurs sur ces bateaux-là que sur des bateaux aussi confortables mais deux fois plus lourds. »

Écologique la voile donc ? La réponse fuse, catégorique : « Qu'est-ce qu'il y aurait d'écologique dans nos plaisirs ? Il n'y a rien d'écologique dans la plaisance. La voile, c'est une propulsion naturelle mais il faut produire les bateaux. Ce sont des tonnes de pétrole transformées en plastique qui sont en train de stagner dans nos ports. Cela a nécessité de l'énergie pour l'extraire, pour le transformer, pour le fabriquer. Il y a une économie derrière, on est bien d'accord, mais la voile, c'est une aberration environnementale même si le pire, ce sont bien sûr les bateaux à moteur. Le rendement est débile comparé à un moteur de bagnole. Une voiture, c'est un outil de travail avant tout, donc ça peut se justifier un peu plus. Et une voiture est à 95 % recyclée. Elle va partir à la casse et il y a une filière de recyclage. Un bateau pas du tout. Il n'y a pas de cimetière de bateaux. C'est très difficile à recycler parce que d'abord c'est beaucoup plus gros et c'est plein de matériaux très compliqués. On commence un petit peu mais c'est un millionième de pourcentage de la flotte existante qui commence à libérer les ports. Des efforts sont faits en permanence sur les impacts. On essaye d'être le moins sale possible, mais on est par nature salissant. C'est notre manière de vivre sur la planète aujourd'hui. En revanche, les bateaux durent longtemps, notamment en course. Le fameux Banque Postale, qui s'appelait Groupama et qui va gagner la Route du Rhum avec Franck Cammas en 2010, va gagner ensuite avec ma pomme quatre ans après et avec Joyon quatre ans plus tard. C'est le même bateau en huit ans. Ça n'existe nulle part en sport mécanique. On a une durée d'utilisation de ces bateaux qui amortit l'impact sur la planète dans la durée. »

« On est une espèce un peu rare. On ne peut pas être bon partout, mais on est mauvais nulle part. C'est l'obligation du marin solitaire. »

À ses heures perdues, Loïck Peyron rêve à son bateau idéal avec lequel il veut emmener ses enfants autour du monde. Et cela fait quarante ans qu'il le dessine : « Il a changé au fil des années. L'évolution de ce bateau de rêve familial a été géniale parce que c'était forcément un monocoque il y a quarante ans, c'est devenu rapidement un multicoque, un catamaran de croisière avec des voiles classiques, et aujourd'hui c'est un trimaran avec une motorisation électrique et une voile qui ne sert que quand le vent est favorable. Ce n'est pas du tout un gréement classique, mais un mât télescopique autoporté avec une voile qui s'installe et se réduit très facilement et qui se règle automatiquement. C'est clairement l'évolution d'une partie de la plaisance à la voile que l'on va voir poindre dans les années à venir. Il faut dire que les bateaux à voile, en termes de surface de propulsion, n'ont pas beaucoup bougé depuis Christophe Colomb, c'est toujours du tissu. Il y a toujours autant de charge pour faire tenir les mâts droits. Les bateaux qui ne se servent jamais de voile ont quand même la structure pour le faire, ce qui les alourdit. » Un mât autoporté qui se rétracte et des voiles qui se règlent automatiquement, ce ne sont pas uniquement le rêve de Loïck Peyron. Le chantier Océan Développement basé à Lorient devrait présenter au prochain salon de Cannes le Modx 70, en collaboration avec VPLP, un bateau de 21 mètres doté de ce type de propulsion.

Michelin de son côté a repris le concept de la voile gonflable mis au point par Edouard Kessi et développe le projet pour le transport maritime. Loïck Peyron, lui, est intarissable sur le sujet. Il met ses compétences dans le domaine au service du chantier CDK Technologie dont il préside le conseil stratégique. « C'est le chantier qui fait tous les bateaux de compétition qui gagnent à peu près toutes les courses dans le monde. J'avais déjà fait un mât aile avec Hubert Desjoyeaux (le fondateur du chantier, NDLR) il y a trente ans, assez révolutionnaire à l'époque. Mon rôle aujourd'hui consiste à trouver des débouchés différents. Par exemple, on fait des mâts pour les cargos. Le domaine de la propulsion pour des bateaux de commerce et non pas de loisirs est une manière de se diversifier. Nous sommes les seuls en Europe à avoir des étuves, des outils de 50 mètres de long, dans lesquelles on peut fabriquer des gros tronçons de mâts avec des qualités de matériaux et de compactage, et donc de légèreté et de fiabilité, incomparables. On travaille notamment avec les Chantiers de l'Atlantique sur le sujet. Les bateaux seront donc dotés de mâts de 60 mètres avec des voiles en panneaux rigides, des volets roulants et articulés, qui peuvent monter et descendre, avec des capteurs de vents, de vitesse et de gîte pour se régler automatiquement. On peut espérer des gains de 30 % de consommation, voire plus. Il y a un marché et une industrie potentielle en pleine évolution en ce moment autour de cette utilisation du vent pour déplacer ces engins sur l'eau. Mais tout ça vient à la base du monde de la compétition, des ingénieurs, des architectes et des marins, plutôt français d'ailleurs. »

Cela fait quarante ans que Loïck Peyron dessine son propre bateau avec lequel il veut emmener ses enfants autour du monde

C'est donc d'abord par le transport maritime que cette évolution de la propulsion vélique devrait passer avant de toucher l'univers de la plaisance. Mais c'est surtout dans les mentalités que notre homme espère une vraie révolution. Et son discours à cet égard peut paraître surprenant pour le grand champion qu'il est : « L'autre aspect important concerne aussi la vitesse. Il faut accepter de ne pas forcément être rapide tout le temps. Certains armateurs de cargos essayent de convaincre leurs clients que le transport à haute vitesse, cela va finir. On aura plus assez d'énergie pour livrer de l'Amazon demain matin. C'est une immense révolution sociétale qu'il faut qu'on arrive à comprendre. Il n'y a pas d'urgence. Si je n'ai pas mon nouvel I-Phone 253 demain matin, le monde ne va pas s'arrêter. C'est pareil pour la plaisance. Une vitesse moyenne d'un peu moins de 10 nœuds, ça suffit amplement, au moteur comme à la voile. Même pour la compétition, ce n'est pas vraiment une question de vitesse absolue, mais plutôt de vitesse relative de l'un par rapport à l'autre. Se bagarrer à armes égales, il n'y a pas mieux. C'est là où peut véritablement s'exprimer un équipage. » L'éloge de la lenteur. Un comble pour un homme qui a passé sa vie à vouloir aller plus vite que les autres.

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