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Kojiro Shiraishi : un Nippon autour du monde

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Kojiro Shiraishi : un Nippon autour du monde
© Fabrice Berry
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Lorient. La Base. Ici stationnent les IMOCA, véritables formules 1 des océans, que la course du Vendée Globe sacralise tous les quatre ans. Alignés le long des pontons, ces monstres majestueux font vibrer les couleurs de leurs équipes et nos imaginations enflammées. Rien d'habituel sur ce quai. Dès le premier regard on sent que l'on est hors du commun. Ces monocoques longs de 60 pieds (18,28 mètres) font rêver et suscitent un respect teinté de crainte presque. Comment un seul homme à bord peut-il contrôler une telle machine ? Pourquoi certains marins y consacrent-ils leur vie ? Et surtout, comment vit-on à bord de ces navires incroyables ? C'est en allant à la rencontre de Kojiro Shiraishi, skipper de DMG Mori, et de son équipe affairée à ses côtés que nous tenterons d'en savoir plus.

Dans un univers des plus spartiates, tout est pensé pour la course. Le superflu n'est pas du monde des coureurs de grand large

L'accueil est des plus chaleureux. Kojiro et quelques-uns de ses préparateurs mettent la dernière main aux préparatifs de la prochaine course - la Rolex Fastnet Race - dont le départ a été donné le 22 juillet depuis Cowes. Shota Kanda, le responsable de la communication de l'équipe, japonais lui aussi, nous explique : « Le bateau vient d'être remis à l'eau à la suite d'un gros travail de modification. L ' étrave a été entièrement redessinée pour rendre DMG Mori Global One plus performant dans les mers très formées. Elle dispose d'une ligne qui lui permettra de mieux ressortir des grosses vagues et de moins enfourner. Ces travaux ont été réalisés chez CDK, à Port-la-Forêt, pas loin d'ici chez Michel Desjoyeaux. Les foils aussi sont nouveaux et entièrement redessinés. Ils ne ressortent plus sur le pont en position rentrée et peuvent être réglés selon différentes incidences. Depuis mi-juin nous peaufinons les derniers réglages et mises au point pour la saison. » Cette course en double - son coéquipier Thierry de Duprey de Vorsent sera à bord - fait partie des préparations indispensables en vue du prochain Vendée Globe 2024. Si le skipper, classé 16e en 2020-21, est d'ores et déjà qualifié, il doit participer à ces sélections en emmagasinant un maximum de milles, en duo et surtout en solitaire. Ce seront donc la Rolex Fastnet en juillet, le Trophée Azimut en septembre, la Transat Jacques Vabre un peu plus tard et la course de retour, depuis la Martinique, cette fois en solitaire. Programme qui se poursuivra en 2024 avec trois transatlantiques en solitaire et enfin le Vendée Globe. Le programme est très chargé. Un point qui souligne l'extrême engagement de ces équipes et de leurs skippers pour ce tour du monde dont l'impact sur la voile en général et les retombées médiatiques importantes sont devenus phénoménaux.

Quinze collaborateurs français et japonais entourent donc Kojiro. Des professionnels des plus pointus, aussi bien en informatique qu'en dynamique et technique, en comptant aussi un préparateur physique. La course au large est vraiment un sport de très haut niveau. Kojiro vient nous saluer, en japonais puisqu'il ne parle ni français ni anglais, entre deux ordres ou précisions donnés au garçon perché à trente mètres de haut, en tête du mât en carbone. Son sourire éclatant et son élégance naturelle forcent la sympathie. On le sent heureux d'être là, vivant sa passion dont il nous parlera plus tard.

Tout est superbe à bord. Ultra-fonctionnel, construit dans les matériaux composites les plus performants. On est à bord d'une bête de course et la place dédiée au skipper est des plus limitées. Shota, son interprète, nous précise : « Dans cette partie du cockpit presque entièrement fermé, Kojiro dispose de toutes les commandes concernant les voiles et les réglages du bateau. Ensuite dans le poste de pilotage, entièrement isolé et équipé d'une porte étanche, on trouve les instruments indispensables à la navigation et la météo. Il est seul maître de ses choix. En revanche, en cas de souci nous sommes là pour l'aider. Nous avons deux satellites de communication. » Nous découvrons ensuite la partie centrale de la coque avec les puits de foils, les commandes de quille et enfin, dans la partie avant, la soute à voiles. Deux bannettes des plus spartiates sont installées de chaque bord du poste de pilotage et la “salle de bains” est des plus minimalistes. Cet environnement entièrement dédié à la vitesse et à la performance ressemble, par son dénuement, à une cellule monastique de science-fiction. Impressionnant !

Seul Japonais engagé dans les grandes courses au large, Kojiro Shiraishi poursuit la route tracée par Yukoh Tada

Nous rejoignons Kojiro dans la salle de briefing des locaux de DMG Mori, le groupe germano-nippon sponsor du bateau, pour un entretien à trois. Shota traduisant et Kojiro répondant à nos questions sur son parcours et ses motivations. Tout a débuté pour lui il y a quarante ans. Âgé de seize ans, étudiant dans un lycée japonais formant aux métiers de la mer (marine marchande), fan de course à la voile, il découvre « Yukoh Tada. Le premier Japonais à remporter une course autour du monde en solitaire, en classe 2. Le fait de savoir qu'un simple chauffeur de taxi pouvait gagner une telle course m'a complètement libéré. J'ai pensé qu'un garçon comme moi, issu d'un milieu modeste, pouvait peut-être aussi y arriver. J'ai cherché à entrer en contact avec Yukoh et j'ai pu intégrer son équipe. Il est devenu mon maître ; comme ceux que nous connaissons et qui nous choisissent dans le domaine des arts martiaux (NDLR : Kojiro pratique le sabre au quotidien).

Nous étions en 1983. J'ai appris d'abord dans l' équipe technique, puis à ses côtés, quand il naviguait et n' était pas accroché au bar (rires). C'est surtout en observant et en me documentant, en parlant avec d'autres grands skippers, que j'ai progressé. Quand Yukoh a mis fin à ses jours en 1991 durant la BOC Challenge à Sydney, je suis allé chercher son bateau pour le rapatrier au Japon. » Un voile de tristesse passe dans son regard puis il reprend : « Quand j' étais dans le staff technique de Yukoh, j'ai fait la connaissance des autres équipiers et des navigateurs. C'est à ce moment-là que j'ai fait définitivement le choix de la course au large. » Une option qui le mènera à effectuer son premier tour du monde en solitaire, hors course, en 1993, à bord de Spirit of Yukoh I. Un nom qu'il conservera sur tous les bateaux sur lesquels il naviguera dans le futur. En 1998, il embarque à bord du bateau de Bruno Peyron engagé dans une tentative - réussie - de record sur le Pacifique nord entre Yokohama et San Francisco. En 2002-03 on le retrouve engagé en Open 40, l'ancienne classe 40, pour sa première vraie course autour du monde en solitaire.

Ce n'est qu'en 2006 qu'on le trouve à la barre d'un Open 60, les anciens IMOCA, sur la Velux Five Oceans. Une circonvolution sans escale qu'il termine deuxième derrière Bernard Stam, et face à des marins très capés comme Mike Golding ou Alex Thomson. .. En 2008, son sponsor principal met la clé sous la porte. Kojiro est à pied et ne peut qu'aller saluer ses congénères depuis les quais de départ des différentes courses auxquelles il ne participera pas. Période triste et difficile qu'il évoque néanmoins avec philosophie. Las, et malgré d'autres transpacifiques à bord de Gitana barré par Lionel Lemonchois, Kojiro devra patienter jusqu'en 2016 pour être qualifié sur son premier Vendée Globe avec Spirit of Yukoh IV (ex-Temenos de Dominique Wavre). Il précise : « J'ai cassé le mât du bateau au large de l'Afrique du Sud après un mois de course à peine, et j'ai dû abandonner.

En véritables bêtes de course, les IMOCA modernes affichent des performances hors normes mais aussi une certaine fragilité

Heureusement, grâce à DMG Mori, mon nouveau sponsor, nous avons pu construire un IMOCA en 2019 pour le Vendée Globe 2020. » Suzuki fait aussi partie des importants sponsors du programme. Le bateau a été dessiné par VPLP Design (Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost) à Vannes. À propos de sa vie en France et du Vendée Globe, Kajiro dit ceci : « J'aime beaucoup ma vie en France, même si je retourne assez souvent au Japon. Ici, la course au large a une dimension qu'on ne trouve nulle part ailleurs. C'est vraiment spécifique et tout vient d'ici. Le Vendée Globe est une épreuve unique. C'est un honneur d'y participer. Et puis beaucoup de nations sont représentées. Les femmes aussi sont présentes et compétitives. Dans mon pays, il est impossible de monter un projet comme celui-ci. Il n'y a qu'en France qu'existe cet engouement pour la course au large. C'est fantastique ! » Bon vent Kojiro, ce fut un honneur pour nous aussi...

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