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Ivo Groen / Lamborghini Espada : la face cachée du design

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Ivo Groen / Lamborghini Espada : la face cachée du design
© Götz Göppert
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A travers les générations, les carrosseries italiennes et les designers ont bercé les passionnés d'automobiles. Ivo Groen n'y a pas échappé. Avec un prénom à consonance italienne et une naissance en 1967, sa destinée semblait toute tracée, d'une ligne aussi nette qu'un coup de crayon de Marcello Gandini. Cette année-là, le designer italien, alors arrivé chez Bertone deux ans plus tôt, donne naissance à la Lamborghini Marzal, une délirante vision Grand Tourisme de la Miura. Les mois passent et le designer autodidacte produit ensuite des machines aux styles sans doute trop en avance sur leur temps. Comme en 1968 avec la Carabo, basée sur l'Alfa 33, qui a rapidement donné le virus au jeune Ivo : « A l'âge de cinq ans, j'ai découvert la Carabo en jouet. Plus tard, je suis tombé sur un autre jouet, une Marzal, couleur blanc nacré. J'ai donc rapidement fait le lien avec la Carabo et la maison Bertone en regardant au dos des jouets. Puis vers l'âge de dix-onze ans, j'ai alors compris qu'il y avait un carrossier Ber tone, avec des designers derrière chaque voiture. » Le ver est dans le fruit et Ivo trouve alors sa voie. Son amour pour la Lamborghini Espada est venu sur le tard, la Citroën DS ayant d'abord eu une place très particulière dans ses choix professionnels. Animé par le design italien en général et par celui de la déesse de Flaminio Bertoni, Ivo a entrepris des études de design, en passant par le Art Center College of Design, situé à Pasadena, au nord de Los Angeles. Diplôme en poche, Ivo voulait concrétiser l'un de ses deux rêves : intégrer une carrosserie italienne, dans les pas de ses pairs, avec Marcello Gandini en tête, ou dessiner la nouvelle DS. Après une candidature spontanée chez Citroën en 1990, le jeune designer intègre alors le département du style Citroën. Désormais entré dans les bureaux de design de la marque aux chevrons, Ivo a alors voulu assouvir son amour pour les carrosseries italiennes : « Après avoir signé mon contrat, je voulais m'offrir une supercar italienne. J'ai trouvé une Maserati Khamsin à vendre, mais elle était en configuration américaine. Je savais que sa remise aux spécifications européennes allait être onéreuse. »

Au gré des petites annonces des véhicules d'occasion de l'époque, Ivo tombe alors sur une Lamborghini Espada, l'un des 575 coupés S2 produit sur un volume total proche des 1 200 unités. La vue de cette annonce lui fait alors renaître ses souvenirs d'enfant et de sa rencontre avec l'Espada : « J'en ai vu une, sans doute en Californie durant mes études. Et je me souviens avoir dit : “Purée qu'elle est basse et large, elle a des proportions incroyables”. Pourtant, c'était déjà une vieille voiture. » Née de la rencontre entre la Marzal et la Bertone Pirana (ndlr : une expression unique de la Jaguar Type E réalisée pour le magazine Daily Telegraph en 1967), la GT de Lamborghini transpire tout le génie de Gandini, au coup de crayon provocateur et trop souvent incompris. « Ferrucio voulait un coup de théâtre à chaque nouvelle voiture. L'Espada est tellement basse qu'elle n'a pas besoin de calandre. Elle n'a pas de face avant. C'est la longueur du capot qui fait le visage de la voiture » , précise Ivo, qui reconnaît ainsi le dessin avant-gardiste de la carrosserie Bertone. Pourtant, tous les designers n'ont pas été de cet avis, comme le souligne Ivo : « Lorenzo Ramaciotti m'a confié que Pininfarina n'appréciait pas le dessin de l'Espada en raison d'un trop grand nombre de lignes droites. » Par comparaison, l'Espada apparaît certainement plus cubique que la Ferrari 365 GT 2+2, la concurrente de l'époque. Mais elle reflète tout l'art de dessiner à l'équerre, un exercice maîtrisé par Marcello Gandini.

Sous son apparence brute, elle résultait alors d'un cahier des charges précis et antinomique, elle devait répondre aux attentes d'une clientèle fortunée en offrant quatre vraies places, un confort haut de gamme et les meilleures performances possibles. Affichée à un prix supérieur à celui d'une Rolls-Royce à l'aube des années 70, l'Espada avait réussi son pari en devenant la voiture à quatre places la plus rapide du monde, jusqu'à l'arrivée de la BMW 745i en 1982, tout en offrant une sellerie en cuir Connolly réclamant la peau de six vaches. Vingt ans après la sortie de l'Espada, toute l'ingénierie présente à bord a scellé l'achat d'Ivo, aussi envoûté par les quatre roues indépendantes, le freinage à disques Girling aux quatre coins et par la pièce maîtresse, le V12 Bizzarrini. Sorti de la tête de l'ingénieur Giotto Bizzarrini, le bloc aluminium à douze cylindres se prête bien à la philosophie de la GT : le double arbre à cames de 3,9 l produit 350 chevaux avec un régime maximum de 7 500 tr/min. « Pendant mon essai, le vendeur me lance alors : “Mon cher, vous êtes à 220 km/h”. Puis je lui réponds : “Oui ça marche bien. ” La prise en main de cette voiture fait qu'on y est bien. Sa vitesse de croisière optimale est de 180 km/h », se rappelle alors Ivo. Dès l'ouverture de la portière, jusqu'en haut du compte-tours, Ivo Groen ne cesse de penser à la jeune équipe d'ingénieurs et de designers cachés derrière l'Espada, comme le nom d'une voiture au dos d'une miniature. Des visionnaires qui ont dû croiser le fer en interne pour imposer leurs idées, en tentant de convaincre leurs collègues plus pragmatiques, sinon moins créatifs. Cette reconnaissance de ses devanciers, lui évoquant son quotidien de designer, ne lui ferait quitter son Espada pour rien au monde. A moins que ce ne soit pour éviter une déchirante séparation, comme ce fut le cas avec l'ancien propriétaire en 1991 : « En descendant de l'appartement après la vente, le vendeur était en larmes. En guise de souvenir de son Espada, il voulait le porte-clés d'origine, que je lui ai laissé volontiers. »

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