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Evinrude : « arrêtez de ramer »

Modifié le Écrit par La Rédaction
Evinrude : « arrêtez de ramer »
© Philippe Leblond, Nico et DR
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L'histoire d'Evinrude, marque devenue légendaire, a connu quelques rebondissements spectaculaires et pas seulement dans ses années récentes, même si l'abandon de la production en mai 2020 a claqué comme un coup de tonnerre. Sans doute pouvait-on considérer le grand bouleversement de l'année 2000-2001, ayant vu le rachat d'OMC (propriétaire d'Evinrude) par le groupe canadien Bombardier comme une première “voie d'eau” dans la coque de ce beau navire qu'était l'Outboard Marine Corporation. Pourtant, tout au long du XXe siècle, la firme américaine n'avait cessé de grandir, d'abord grâce à ses deux marques historiques de hors-bord (Evinrude et Johnson) auxquelles s'était ajoutée Cobra pour les moteurs in-board essence puis plusieurs marques de bateaux, OMC ayant été le précurseur au milieu des années 80 de la vente en “package” avec des bateaux exclusivement équipés de ses propres hors-bord. OMC fit ainsi l'acquisition d'une usine de remorques et de sept chantiers navals : Chris-Craft, Donzi, Four Winns, Hydrasport, Seabird, Seaswirl, Stratos. C'est donc ce géant qui vacilla fin 2000, et tomba dans l'escarcelle de l'entreprise canadienne Bombardier. Ne voulant pas des bateaux, le repreneur se concentra sur l'acquisition des marques Evinrude et Johnson (OMC Cobra ayant été abandonnée entre-temps).

Ralph Evinrude, fils d'Ole et Bess, va poursuivre l'œuvre de ses parents

Puis, cinq années plus tard, Bombardier lâcha Johnson, dont les moteurs d'origine américaine avaient été remplacées quelques années auparavant par des 4-temps Suzuki avant de fermer en 2020 l'usine de Sturtevant (Wisconsin), dernière demeure de ces brillantes mécaniques. Mais remontons en arrière, pour prendre toute la mesure de la légende d'Evinrude. Nous sommes au début du siècle dernier, sur un lac du Wisconsin. Sous un soleil ardent, Ole Evinrude effectue des allers et retours à la rame, d'un rivage à l'autre. Épuisé, il explose : « Il n'y a donc personne capable d'inventer un moteur pour propulser ces bateaux ! » Ce cri du cœur ne va pas rester sans suite. Dès 1906, cet ingénieur, fils d'un fermier ayant quitté la Norvège pour les États-Unis, va mettre au point un prototype de hors-bord. Deux ans plus tard, il lance son premier modèle sur le marché. Les commandes aidant, 25 exemplaires de ce propulseur, qui développe 1,5 cheval, pèse 30 kg et s'affiche à 62 dollars, partent comme des petits pains. Dès lors, Ole et sa fiancée Bess vont travailler d'arrache-pied et s'associer avec Chris Meyer pour financer la production d'Evinrude Motors. En 1912, ce sont 4 650 moteurs qui sortent de l'usine. Puis 9 412 l'année suivante ! Mais entre-temps une autre compagnie produisant ses propres hors-bord a vu le jour : Johnson Motors. La concurrence fait rage et alors qu'Evinrude Motors décline puis est mise en vente, Ole et Bess, mariés depuis, frappent un grand coup avec le lancement de l'Elto Quad. Un bloc quatre cylindres qui avec ses 18 chevaux est le hors-bord le plus puissant en cette fin des années vingt. Une nouvelle association avec Stephan Foster Briggs puis Lockwood Motor Co, afin de s'adjoindre les services d'un autre brillant ingénieur, Finn T. Irgens, débouche sur la création d'OMC (Outboard Marine Corporation).

La sortie de l'OMC Fold Light (embase repliable !), proposé en trois puissances (2, 3 et 4 chevaux) pour un poids de seulement 14 kg, va permettre à OMC de dépasser Johnson Motors et de devenir leader mondial du hors-bord. Malade depuis longtemps, Bess Evinrude décède en 1933. Ole ne s'en remettra pas et disparaîtra l'année suivante. Mais leur fils Ralph, qui travaillait avec eux depuis plusieurs années, est alors nommé président d'OMC et fait l'acquisition de...Johnson Motors. C'est lui qui va finaliser les bases de ce géant de l'industrie du moteur marin dont le prestige va reposer, jusqu'à la disparition d'OMC, sur les deux illustres marques : Evinrude et Johnson.Après avoir fait le dos rond durant la crise de 1929, OMC voit ses ventes repartir de plus belle. C'est le moment de monter la gamme en puissance : des 20, 22, 25 puis 35 et 40 chevaux sortent des chaînes dans les années trente.L'usine de Milwaukee emploie près de 1 000 personnes et Evinrude va aussi s'adonner à une activité émergeante : la compétition. C'est l'époque des premiers racers à moteur hors-bord et la marque américaine va établir de nombreux et durables records. La Seconde Guerre mondiale ne sera pas trop pénalisante, économiquement parlant, pour OMC qui va produire de nombreux hors-bord pour les bateaux de la Marine américaine, notamment l'Evinrude 50 chevaux baptisé “Storm Boat Motor” capable de faire “hydroplaner” des unités embarquant huit soldats et permettant à 125 000 d'entre eux de traverser le Rhin en une seule journée !Le véritable essor de la plaisance motonautique survient après-guerre avec son cortège d'innovations et la multiplication des modèles (voir encadré). Dans les années cinquante, par souci de rentabilité, OMC va standardiser les modèles des deux marques. Les Evinrude et Johnson ne se différencient plus que par des capots aux formes différentes et le graphisme de leurs stickers. L'escalade technologique va bon train avec l'arrivée des V4 (1954) et l'augmentation des puissances permettant de propulser des bateaux de plus en plus grands. En 1976, le premier hors-bord V6 annonce l'ère moderne, avec une cylindrée (2,4 l) et une cavalerie (200 chevaux) dignes de nos hors-bord du XXIe siècle.

Le crédo du deux-temps à injection directe avec les deux générations E-Tec

Jusqu'à la démesure, lorsqu'en 1984, OMC lance le premier V8, hors-bord le plus puissant de la planète cubant 3,6 litres et développant 300 chevaux (XP chez Evinrude, GT chez Johnson) ! Trois ans plus tard démarre la “révolution” des packages dont OMC était déjà le précurseur dans les années soixante avec des bateaux de sa fabrication (Gull-Wing et Rogue). Mais cette fois, plutôt que de produire ses propres bateaux, OMC fait l'acquisition de plusieurs chantiers, comme nous l'avons vu. En 1986, Ralph Evinrude disparaît et le groupe OMC entre dans sa dernière ligne droite.Dans les années 90, il va subir une forte concurrence de la part de Mercury qui, avec des marques de bateaux telles que Sea Ray et Bayliner, va aussi développer ses ventes en packages, sans parler des motoristes japonais Yamaha, Honda et Suzuki qui vont aussi passer des contrats d'exclusivité avec nombre de constructeurs de bateaux. Le dernier baroud d'honneur d'OMC sera l'application de l'injection directe aux hors-bord 2-temps avec la sortie remarquée, en 1997, des Evinrude Ficht, nécessitée par la disparition programmée des deux-temps à carburateur qui, à court terme, ne satisferaient plus aux normes antipollution de plus en plus drastiques.Performants et sobres, les Ficht apparaissent comme une alternative intéressante face au lancement massif de 4-temps par les marques concurrentes. Mais, touchés par des problèmes de fiabilité, ils seront rapidement remplacés par une seconde génération, les Ficht Ram. Parallèlement à la production des 2-temps à injection directe avec Evinrude, OMC a réorienté Johnson vers le 4-temps, histoire de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Pour cela, il a signé un accord de partenariat avec Suzuki et, très vite, une gamme Johnson à l'accent japonais (des Suzuki rhabillés de blanc) arrive dans les concessions.

Victime du discours dominant en faveur du hors-bord 4-temps, le 2-temps va s'incliner puis disparaître…

Mais autant les 4-temps Suzuki prolifèrent, autant les Johnson végètent. De surcroît, la vive concurrence imposée par le 4-temps, fortement encouragé par le discours commercial ambiant, mène la vie dure à Evinrude. OMC s'essouffle.Le dépôt de bilan est inévitable. Evinrude et Johnson vont dès lors poursuivre leur route sous la bannière canadienne de Bombardier Recreational Product qui a racheté les deux marques. Dans un premier temps, car cinq années plus tard Johnson cesse d'exister. Bombardier a décidé de tout miser sur le 2-temps, avec sa gamme innovante d'E-Tec auto-hivernants (de 25 à 300 chevaux). De brillants 2-temps, les derniers du marché avec ceux de Mercury (gamme Optimax de 75 à 250 chevaux), Tohatsu (de 30 à 115 chevaux) et Selva (de 50 à 80 chevaux). Ultime baroud d'honneur du pionnier du hors-bord, le lancement en 2014 d'une nouvelle gamme E-Tec (de 75 à 300 chevaux) remplaçant la précédente, puis d'un joystick d'assistance aux manœuvres.Cette gamme de hors-bord auto-hivernants (pas d'entretien pendant cinq ans !) adopte un design avant-gardiste, inspiré du super-héros Iron Man, avec des éléments de capots offrant un large choix de couleurs, introduisant ainsi la notion de customisation, absente jusque-là sur le marché du moteur marin. Evinrude est victime du naufrage organisé du 2-temps visant à privilégier la montée en puissance du 4-temps, “fils préféré” des cellules marketing de ses grands rivaux, martelant les défauts du 2-temps à l'ancienne : vibrations, consommation, niveau sonore. ..

Avec son ultime production (la gamme E-Tec G2), Evinrude proposait pourtant des moteurs de haute technicité, très efficients et sources d'un indéniable agrément de pilotage. Qualités mises en avant lors de divers essais comparatifs dans la presse spécialisée où les G2 dominaient le plus souvent leurs concurrents à 4-temps, y compris en termes de consommation et d'émissions polluantes. .. Cela n'a pas suffi à déjouer l'offensive du discours “mainstream”. Celui que le client final, “bombardé” par un argumentaire discutable et rarement interrogé, finit par avoir envie d'entendre. Si l'on met à part les petits 2-temps encore produits chez l'Italien Selva et chez le Japonais Tohatsu, Evinrude aura été le dernier défenseur de cette technologie, les Japonais Yamaha et Suzuki étant depuis longtemps passés au 4-temps, et l'Américain Mercury ayant remisé la série des Optimax (75 à 300 chevaux), il y a trois ans. Dès lors, pour le 4-temps, la voie est dégagée, et le 2-temps ne profitera pas de l'actuelle envolée du marché des hors-bord de fortes puissances qui sont en train de supplanter les in-board essence.

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