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Voilier Star : sous le soleil de La Marge

Modifié le Écrit par La Rédaction
Voilier Star : sous le soleil de la marge
© Marc de Delley et Alamy
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Une histoire comme celle de Marge devrait forcément commencer par la formule rituelle “Il était une fois...”. Le casting rassemble tous les rôles nécessaires à la narration des contes de fées : hier, un roi amoureux du vent, une femme aux yeux translucides, des acteurs célèbres. Aujourd'hui, un amateur avisé bien décidé à redonner vie à ce bateau hors du commun, dans la plénitude de ses moyens. Ce sloop bermudien, voilier à un seul mât gréé d'une grand-voile triangulaire, a été imaginé pour défier le vent, pour croiser le soleil, pour battre le chronomètre. C'est dans ce but que le roi Christian X de Danemark passe commande, en 1936, d'un voilier de sport pour croiser dans les fjords. Pour cela, il se tourne vers l'un des grands spécialistes de l'époque : l'architecte naval Johan Anker. Descendant d'une riche famille d'industriels norvégiens, le concepteur est un marin expérimenté, réputé comme un habile timonier. Il dessinera près de deux cents coques. La plus célèbre est celle du Dragon, conçu en 1929. Fort de son succès, ce petit sloop de 8,90 mètres est même devenu une classe olympique en 1948. Nul hasard si le Dragon est surnommé “le voilier des rois” ou “le roi des voiliers”.

Transformé en yacht de plaisance dans le film de Clément, Marge a retrouvé sa vocation première

Il y a quelques années encore, il n'était pas rare d'apercevoir dans la baie de Cannes le prince consort du Danemark, Henrik, à la barre du sien. À bien y regarder, à plus d'un titre, Marge préfigure le Dragon. Sa grande pureté lui donne belle allure sur l'eau. Un tel voilier, c'est certain, ne peut avoir été conçu que pour la vitesse, la compétition, le rêve, l'évasion. C'est en 1937, au chantier naval Stubbekobing, au Danemark, que Marge a été mis à l'eau, sous le nom de Lasse of Copenhagen. Long de 18,31 mètres pour seulement 3,36 mètres de large et 2,5 mètres de tirant d'eau, soit la jauge de la première génération des 12M de la fameuse classe J, les seigneurs des régates. Il en a tous les atouts. Une silhouette fine et élancée, et une coque effilée pour mieux glisser à fleur d'eau. Les structures du voilier, entièrement mises à nu lors de sa restauration, permettent de comprendre qu'il s'agit de l'une des premières créations de Johan Anker. Probablement autour de 1907. En effet, le bâti principal de Marge est en acajou renforcé de membrures en chêne. Typique des années 1900, la construction est entièrement en bois et ne comporte pas encore de membrures en acier. Rien d'étonnant à cela si l'on considère que, comme les voitures de Formule 1, les voiliers de course, véritables bolides des mers durant les années folles, n'avaient pas vocation à durer mais étaient régulièrement démontés ou transformés. Comme les machines d'endurance ou de Grands Prix, ils ont souvent été détruits, après les saisons de régates.

Les connaisseurs regardent donc Marge avec un intérêt supplémentaire, car il est désormais l'un des rares témoignages de ce que furent ces bateaux d'exception, au tournant de la Belle Époque. En s'installant aujourd'hui dans le carré central, dénué de décorations superflues pour alléger au maximum l'ensemble, il est facile de voir et de toucher cette ossature de bois. Autre détail singulier, le pont a retrouvé son aspect “flush deck” d'origine.

Pas d'acajou aux vernis luisants et pesants, mais du pin brut, souple et léger. Un aménagement sportif hors du commun, devenu peu fréquent aujourd'hui. Les amateurs de régates remarqueront aussi la voilure, soutenue par le grand mât en bois d'épicéa. De grandes toiles ivoire capturant le vent pour en faire une force motrice. Elles ont été confectionnées par North Sails, l'équipementier de référence en matière de voilerie technique. Bien entendu, l'ensemble du gréement est dans sa configuration la plus authentique et ne bénéficie d'aucune assistance électrique. Il faut de l'énergie pour tirer des bords, se saisir des cabestans dont il faut actionner vite les manivelles.

Drisses, écoutes, haubans doivent être finement réglés pour tirer le meilleur de cette formidable machine de course qui a retrouvé en Méditerranée son terrain de jeu favori. En effet, après de nombreuses années d'une présence discrète sur la côte atlantique, où il s'était fait oublier, Marge est à nouveau en plein soleil et a mis cap au sud. Bien sûr, les cinéphiles sont un peu décontenancés. La barre à roue, à laquelle s'accroche Alain Delon dans le film de René Clément, n'est plus opérationnelle. Apocryphe, elle avait été installée au moment de la transformation du bateau en navire de croisière à la fin des années 40. Retrouvant sa pureté originelle, Marge dispose à nouveau de la barre franche permettant au skipper de tenir le cap au plus près avec finesse et précision. Mais, même sans la barre à roue, les silhouettes de Maurice Ronet et d'Alain Delon flottent toujours à bord.

Il y avait aussi Marie Laforêt, bien sûr. Marge, c'est elle

C'est pour ses yeux translucides et ses moues évasives que les deux bellâtres se disputent. Le drame rôde. Tout semble trop beau pour être vrai. Le voilier est superbe, luxueux, inaccessible. C'est précisément pour cela que le cinéaste René Clément l'a choisi pour tourner son film, dont le scénario est adapté du roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, dans le golfe de Naples et les environs d'Ischia entre août et octobre 1959. Le voilier va aussi transformer l'océan en huis clos. Symbole de la liberté oisive et dispendieuse de l'héritier inconstant, incarné avec brio par un Maurice Ronet sublime, désinvolte et ténébreux, ce yacht devient un objet de conquête pour le jeune ambitieux sans scrupule joué par Alain Delon.

S'il est une forme de catharsis aux frustrations de ce dernier, le bateau devient peu à peu un labyrinthe pour le jeune homme peu formé aux tourments de la mer et aux rigueurs de la navigation. Alain Delon souffrira d'ailleurs beaucoup du mal de mer pendant le tournage. Au cœur de la dramatisation, l'embarcation devient une allégorie de la vie. Difficile d'échapper à son destin.

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