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100 ans de Zagato : Ercole Spada

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100 ans de Zagato : Ercole Spada
© photos Rémi Dargegen
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Né en 1937 en Lombardie, Ercole Spada n' est pas aussi connu du grand public que d' autres designers stars. Et pourtant, il est à l' origine du dessin des plus belles carrosseries au monde. Fils d' un ingénieur textile, Ercole Spada se passionne très vite pour les automobiles. « Quand j' étais petit, je jouais avec une Auto Union miniature et je me plongeais dans les magazines qui en parlaient. J' étais fasciné. À l' école, nous échangions ces magazines avec d' autres élèves si l' un d' entre nous n'en avait pas les moyens. C' est à cette époque que j' ai commencé à dessiner des croquis techniques. Depuis, j' ai toujours aimé collectionner les autos miniatures », précise-t-il. C' est en étudiant l' ingénierie industrielle à Milan qu' il réalise qu' il pourrait combiner sa double passion pour l' automobile et l' ingénierie en faisant carrière chez une des grandes carrozzeria de l'Italie.

La Coda Tronca fut mon expérience aérodynamique la plus réussie des années 60

Nous sommes alors dans la période d' après-guerre florissante en Europe, époque bénie pour les carrossiers italiens qui collaborent avec les plus grands constructeurs et investissent dans des unités de production flambant neuves. Une fois son service militaire obligatoire de deux ans effectué, Spada envoie sa candidature chez Abarth, Alfa Romeo et surtout chez Zagato. Ercole Spada y est reçu fort brièvement par Elio Zagato, le fils du fondateur Ugo qui ne lui posera que deux questions : « Savez-vous produire des dessins grandeur nature et avez-vous un diplôme ? » Bien qu' il ne dessine alors qu' au 1/10ème, Ercole Spada répond à l' affirmative à ces deux questions et décroche son premier emploi sans même à avoir à présenter un portfolio. Très jeune, il sera très vite à l' origine d' une des périodes les plus fertiles du carrossier milanais.

Spada exercera d' abord ses talents sur une variante de la Bristol 406 S qui ne sera produite qu' à six exemplaires. Mais la qualité de son travail sera remarquée par Zagato qui lui confiera alors un projet important, celui de l' Aston Martin DB4 GT Zagato qu' il doit concevoir en moins de sept mois. Elio Zagato, lui-même pilote de course le week-end, connaît bien l' adage « Victoire le dimanche, vente le lundi » et est donc attaché à la réussite de ce projet confié par Sir David Brown, le propriétaire d' Aston Martin. Agé de seulement 23 ans, Spada s' emploie à transformer l' Aston Martin DB4 en retirant tout élément superflu comme les pare-chocs, en recourant à l' aluminium plutôt qu' à l' acier jugé trop lourd mais aussi en raccourcissant empattement et carrosserie de la voiture pour gagner en efficacité. Comme il le dit lui-même, « Au début, pour moi, ce projet n' était qu' un travail, mais à la fin, c' est devenu une de mes automobiles préférées. John Wyer, le directeur de course d' Aston Martin voulait quelque chose de plus léger pour battre Ferrari. J' ai donc gardé le corps de l' automobile le plus près possible du châssis, comme une peau sur les os. C' était une voiture merveilleuse, très efficace mais aussi très chère, et le 19ème exemplaire n' a pas été vendu avant très longtemps. »

Nous roulions à très vive allure de nuit pour valider nos choix aérodynamiques

Bien qu' il travaille dans la partie la plus sombre des ateliers, bruyante et pleine de poussière, Spada vit une époque bénie chez Zagato. Il aime en décrire l' ambiance si particulière : « L'atmosphère était très spéciale, je concevais une voiture à l' échelle 1:1 directement sur un grand panneau de 6 mètres de long. A la fin de la journée, j' avais parcouru des kilomètres à force de faire des allers et retours sur mes dessins ! D' autres personnes travaillaient derrière moi, modifiant pour de vrai ce que j' avais changé sur le croquis. C' était une époque facile, tout le monde était si enthousiaste ! J' étais le seul designer, avec beaucoup de liberté dans mon travail, et j' ai pu suivre la fabrication des carrosseries et essayer les voitures pour valider (ou invalider) certains choix, certaines évolutions, certains changements, comme la Coda Tronca. »

1960 fut une année fort prolifique pour Spada qui dessina aussi l' OSCA 1600 GTZ présentée au Salon de Turin et surtout l' Alfa Romeo Giulietta SZ dévoilée au Salon de Genève et qui amorcera le début d' une longue collaboration avec Alfa Romeo. Spada entame un véritable tournant dans sa carrière, celui visant à rechercher le maximum d' efficacité aérodynamique. En effet, l' Alfa Romeo SZ dite “Coda Tonda” se révèle incapable de rivaliser avec les Lotus Elite et Elio Zagato lui demande alors de retravailler l' aérodynamique de la voiture. Ce travail de recherche sera à l' origine du concept de “Coda tronca” (littéralement “queue tronquée”) que l' on retrouvera sur plusieurs de ses créations, l' Alfa SZ2 tout d' abord puis les Alfa Romeo TZ1 et TZ2 ou encore la 2600 SZ.

Il tient à en préciser la genèse : « En réalité, la Coda Tronca n'est pas mon invention. Dans les années 1930, deux ingénieurs allemands spécialisés en aérodynamique ont prouvé qu' une goutte d' eau était la forme parfaite. Mais c' est impossible à réaliser sur une voiture, car la partie arrière serait beaucoup trop longue. Mais ils ont aussi prouvé qu' il était possible de créer le même effet en coupant la goutte à un moment donné. Personne n ' a eu le courage de couper l' arrière d' une voiture comme ils l' ont suggéré, alors tout le monde a simplement conçu des voitures avec des arrière ronds. J' ai été le premier à couper la goutte comme il se doit, en créant la queue coupée, ou coda tronca en italien. Ce fut mon expérience aérodynamique la plus réussie des années 1960. »

Ce concept garantissant une stabilité et une vitesse de pointe accrues sera expérimenté sur les Alfa Romeo SZ2 qu' Elio Zagato, privé de course par son père, pilotera en compétition sous le pseudonyme de Bred - qui n' était autre que le chien de la famille - mais aussi sur autoroute. Ercole Spada s' en souvient très bien : « Le travail de validation finale des choix techniques avait lieu sur l' autoroute Milan-Bergame qui à l' époque ne comportait que trois voies en contresens. J' étais assis à la droite d' Elio et nous roulions à très vive allure sur la voie du milieu, celle des survivants des dépassements. » L' autoroute se transforme en piste d' essai, la SZ est affublée de différents appendices et Ercole, mort de trouille, chronomètre les passages sur chaque tronçon pour mesurer les progrès enregistrés. Grâce au travail sur l' arrière -« que j' ai coupé à la serpe » comme il aime à le rappeler - la SZ2 atteindra 227 km/h là où la SZ ne dépassait pas les 200. Le pari est gagné. Quelle que soit l' automobile, rien n' est superflu dans les dessins de Spada, ce qui le différencie assez nettement du travail de ses homologues de Turin : « Dans les années 60, il y avait de nombreux carrossiers à Turin qui réinterprétaient des automobiles de série. Ils étaient tous inspirés par les modes américaines. C' était l' époque des chromes, des ailerons et de tout un tas d' appendices qu' on rajoutait aux autos. Or tout ce qu' on n ' ajoute pas est du poids de gagné. »

Chez Zagato, je n'étais pas très bien payé mais je vivais mon rêve : travailler sur des autos de compétition

Sur l' Alfa Romeo TZ de 1963, Ercole Spada recule au maximum la cabine et inverse carrément la poupe arrière donnant à l' auto des lignes très tendues. Cette automobile extraordinaire reste une de ses créations préférées avec l' Aston Martin DB4 GTZ. Elle offrira aussi des retombées presse importantes pour Zagato tant ses succès en course sont impressionnants. La TZ2 lancée en 1964 s' avérera également redoutable en course. Spada sera aussi à l' origine de grands succès commerciaux, tel celui de la Lancia Flavia Sport dont le cahier des charges stipulait que son dessin devait la distinguer de toute autre voiture, et de la Lancia Fulvia Zagato, produite à 7 100 exemplaires. Ugo Zagato décède en 1968 à l' âge de 78 ans et cela correspond à l' époque où Spada envisage de poursuivre sa carrière ailleurs. Il faut dire qu' il n' est considéré que comme un employé lambda et Elio Zagato aime à faire croire qu' il est à l' origine du dessin de ses autos. Avant de quitter le carrossier milanais, Spada dessine en 1969 l' Alfa Romeo Junior Z. En avance sur son temps, cette voiture sera produite avec très peu de changements par rapport au dessin initial.

Avec le recul sur cette période, Spada déclare : « En regardant en arrière, je n' étais vraiment pas très bien payé. Mais je m' en moquais totalement. Je vivais mon rêve : travailler sur des automobiles de compétition. » S' amorcent aussi à cette époque la fin de l' âge d' or des grands carrossiers italiens et le début d' une longue période de difficultés. Les méthodes japonaises de production ultra rationalisées commencent à s' imposer, les syndicats italiens se révèlent de plus en plus vindicatifs et seront à l' origine de grèves à répétition, et enfin, les contraignantes normes de sécurité américaines auront raison de certaines créations. Spada rejoint Ford en 1970 et devient designer en chef de Ghia où il crée la Ford GT 70 qui ne sera jamais produite et la Ford Mustang concept qui sera lancée en 1980, soit cinq ans après son départ de chez Ghia.

Après un bref passage chez Iso Rivolta et Audi, il rejoint BMW en tant que directeur du design en 1977 où il pilote un vrai studio : « C' était totalement différent de chez Zagato. Nous avions un vrai studio de design, plus de temps, plus de possibilités, et le plus grand changement pour moi était que nous avions une soufflerie pour tester nos choix aérodynamiques. » C' est un nouvel âge d' or pour Spada, quand bien même il est souvent en avance sur son temps et incompris.

Il est à l' origine de deux modèles phares, les BMW E32 série 7 (1986-1994) et E34 série 5 (1988-1996) qui toutes deux auront initialement été désapprouvées par la marque. Il la quittera en 1983 alors que le développement de ces deux automobiles n' est pas terminé. D' abord rejetés, ses choix dictés par la technique, l' esthétique et l' efficacité finissent en réalité par s' imposer. Il rejoint l' Institut I.D.E.A. où il créera notamment la Fiat Tipo en 1988 qui deviendra un vrai succès commercial et remportera le prix de la voiture européenne de l' année en 1989. Spada dessinera aussi pour le groupe Fiat la Lancia Dedra (1989), la Fiat Tempra (1990) au destin mondial mais aussi l' Alfa Romeo 155 (1992). Après un bref retour chez Zagato, Ercole Spada, épris d' indépendance crée en 2006 le studio Spada Concept avec son fils Paulo. Ils présentent en 2007 la Spada AutoVetture Coda Tronca. Cette sportive a pour base une Chevrolet Corvette et se veut l' ultime évolution du concept de coda tronca. Si un projet de petite série est évoqué, il n' aura pas de suite sinon le lancement en 2011 de la Monza, une barquette plus puissante et tout aussi radicale. Agé de plus de 80 ans, Ercole Spada n' a en réalité rien perdu de son esprit curieux, de sa créativité et de son goût de dessiner de belles autos comme il aimait à le faire enfant.

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