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Hero Marie – Laure Cérède : la belle âme de Cartier

Modifié le Écrit par La Rédaction
Hero Marie – Laure Cérède : la belle âme de Cartier
© Roberto Frankenberg
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Paris, rue Boissy-d'Anglas. C'est ici, à mi-chemin entre la place de la Madeleine et de la Concorde, que bat réellement le cœur de Cartier. Tout est dessiné, pensé, réfléchi et décidé ici. Du verre, du zinc, de la pierre de taille. C'est Paris, oui. Pénétrer dans le saint du saint requiert de la patience et un peu d'audace. Dans cet antre de l'élégance, près de 800 personnes travaillent pour Cartier. Dans les étages, les bureaux sont blancs, les fenêtres ouvertes sur le ciel et l'atmosphère délicieusement feutrée. Face au studio maison où œuvrent les créatifs dans un silence de cathédrale, le bureau de Marie-Laure Cérède est différent. Murs couleur “green blue” Farrow & Ball, mobilier choisi, table de travail gentiment désordonnée, le lieu a clairement une âme. Quand Marie-Laure Cérède y accueille ses invités, il se dégage un truc indéfinissable. Marie-Laure Cérède ? Vous ne la connaissez probablement pas. C'est normal, elle aime papillonner en dehors des radars, discrètement. C'est normal, mais c'est dommage. Car cette femme-là est directrice de la création horlogère et joaillière chez Cartier. Elle accueille le visiteur dans un sourire. Elle veille avec passion sur le patrimoine, à sa façon. « L'horlogerie est complexe, glisse-t-elle. Il faut être capable d'exprimer une liberté créative sous la contrainte du mouvement. J'aime ce défi. » Chez Cartier, l'exercice est délicat car l'esthétique prime sur la technique. Toujours.

Une montre Cartier, c'est un parti pris qui reflète une conviction esthétique et une interprétation du patrimoine historique

Oui, toujours. « Cartier fut d'abord un joaillier avant d'être un horloger, commence-t-elle. Or, en horlogerie, il existe deux éléments différents qui doivent cohabiter : la boîte et le bracelet. Chez Cartier, nous devons parvenir à mêler les deux dans l'excellence, obtenir un tout à partir de ces deux éléments qui ne sont pas toujours conçus pour vivre ensemble. Tout n'est qu'une histoire de design et, chez nous, l'essentiel n'est pas de concevoir un bracelet, puis un boîtier mais d'intégrer l'ensemble dans la démarche créative. Quel est le chemin pour créer le produit parfait qui intégrera ces deux éléments ? Telle est la question fondamentale. » Sur sa table, des croquis, des gouaches, des prototypes et des cires. Elle choisit ses mots, avec précision mais avec ce sens du contact qui change tout.

Marie-Laure Cérède a vécu dans une famille où l'art comptait, notamment la sculpture. Elle a passé son enfance au Gabon - sa famille y était installée. Elle en a conservé un rapport au beau très personnel, bigarré. « Mon père était effectivement expatrié là-bas et j'ai été influencée par cette expérience, confirme-t-elle. Faune, flore, couleurs, connexion avec la nature et possibilité de se connecter à soi, avec naturel et immédiateté. Mes capacités intuitives, je les ai développées là-bas. Sans code. » Au Studio, chez Cartier, tout commence par un désir créatif.

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© Roberto Frankenberg

Un trait de crayon. Une intuition. Une envie qui restera la référence ultime jusqu'aux premiers volumes. « Pour créer une montre Cartier, les volumes ne sont jamais sages, surtout pas consensuels, dit-elle. Une montre Cartier, c'est un parti pris qui reflète une conviction esthétique et une interprétation du patrimoine historique. Une montre Cartier a toujours quelque chose à dire. » De sa voix douce mais affirmée, cette Parisienne, mère de trois enfants, embarque le visiteur dans son voyage. Son bureau est à son image : différent, un peu rock mais respectueux des codes de la maison. Sa montre Cartier préférée est la Tank Crash. Une pièce-manifeste qui signe une singularité artistique. « Ce qui est beau est aussi ce qui est imparfait, ajoute-t-elle. J'aime bien cette idée de contraste et d'imperfection. La beauté, c'est savoir créer des combinaisons harmonieuses et audacieuses, pas forcément combinables. » C'est ça la signature Cartier - intelligible, ou pas. « Il peut nous arriver de finaliser un dessin qui n'est pas très Cartier et, dans mon équipe, le regard est alors unanime pour dire que ce n'est pas Cartier, concède-t-elle. Immédiatement, d'un seul trait, nous savons si l'objet est Cartier ou ne l'est pas. » Seul le dessin est capable de libérer l'émotion. L'oublier serait une erreur.

« Ma chance, c'est de travailler le beau, insiste-t-elle. Nos objets sont pérennes, ils disent des choses, ils ont du sens.

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Nous essayons aussi d'être connectés au monde d'aujourd'hui. Le beau est-il universel ? Non, ce serait prétentieux de le prétendre. En revanche, l'harmonie doit tendre à l'universel.

L'harmonie de l'objet, comme un tout, est importante, primordiale. » Rares sont les créateurs horlogers à s'exprimer ainsi mais Marie-Laure Cérède n'est pas comme les autres.

Un diplôme de grande école de commerce parisienne (ESCP) en poche, elle bifurque immédiatement dans le monde de la création en intégrant Cartier au début des années 2000 ; en 2002 précisément en tant que “product manager”.

« Adolescente, je ne savais pas ce que je voulais faire, confie-t-elle. J'ai eu un parcours atypique. J'ai toujours fait de la sculpture, je viens d'une famille d'artistes. J'ai un amour des objets intemporels, montres ou bijoux, qui marquent le temps. » Elle a ensuite enfilé le costume de directrice de la création chez Harry Winston de 2005 à 2014 notamment à la grande époque des Opus, période pendant laquelle elle a pu collaborer avec les plus grands horlogers indépendants comme Stephen Forsey et Robert Greubel. Une période de foisonnement artistique et joaillier pendant laquelle tout semblait possible… même ce qui ne l'était pas.

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Elle se souvient aussi de ses premiers pas dans la haute horlogerie joaillière quelques années auparavant. Avec Charles Zuber, elle avait conçu sa première montre précieuse. Un éclat de rire bienveillant ponctue le souvenir. En 2016, elle revient chez Cartier. L'année suivante, elle y est nommée directrice de la création horlogère. Le relancement de la Panthère, la révolution de la Coussin, les nouvelles vies de la Tank ou de la Pasha, c'est elle. « Chez Cartier, ce qui est incroyable, c'est la diversité des savoir-faire maîtrisés qui nous confère la possibilité de tout faire, ajoute-t-elle. Comme ça, cela ne se voit pas mais la complexité de l'exercice est immense. » Horloger-roi de la montre de forme, Cartier n'a jamais quitté le top 5 des plus grandes marques du monde. Tout sauf un hasard. Le patrimoine de la Maison est immense, parfois imposant. Marie-Laure Cérède aime s'en accommoder en regardant loin. Elle possède cette intelligence-là, rare. « Je suis convaincue qu'une nouvelle création ne peut avoir du sens que si le patrimoine est parfaitement maîtrisé, analyse-t-elle.

Nous pouvons choisir de nous en émanciper si nécessaire mais sa maîtrise est essentielle pour libérer la création, pour éviter qu'elle ne soit trop influencée par son époque. J'insisterais également sur l'importance de la main. J'ai la foi dans l'artisanat. Le beau fait par la main de l'homme, cela n'a pas de prix. C'est cette dimension sacrée dont nous avons tous besoin. Pour moi, c'est ça le vrai luxe. » Et elle retourne à ses croquis, dans un sourire, comme toujours. Une belle âme.MH

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