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Guillaume Rolland : Magistère de l’intérieur

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Guillaume Rolland : Magistère de l’intérieur
© Camille Gentil, Mark Seelen, Studio Liaigre
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C'est un peu l'homme de l'ombre qui entre enfin dans la lumière. Arrivé au cabinet d'architecture de Christian Liaigre en 2002, Guillaume Rolland est tombé à point nommé pour conjuguer sa passion pour la voile et son métier d'architecte classique. Il venait de faire ses premières armes avec Philippe Starck et Wedge Too, un Feadship de 65 mètres, le premier motoryacht entièrement dessiné par le plus célèbre de nos designers dont il tire une belle expérience : « J'ai découvert des gens très précis et très coordonnés.

Une bonne architecture, c'est un très bon scénario

C'est un domaine d'excellence et nous n'avons pas le droit à l'erreur. C'est le niveau très élevé du curseur d'exigence que j'ai découvert dans cette aventure. Et c'est quelque chose qui me correspond. » Quand il parle du bateau, Guillaume Rolland évoque un véritable coup de foudre qu'il découvre à dix ans, en vacances en Bretagne nord chez sa grand-mère, sur un Optimist : « Je me souviens très bien de ce jour-là, il y avait beaucoup de vent et une mer verte, et à ma première seconde sur un bateau, j'ai eu un flash. J'ai adoré cette sensation de glisse douce. En sortant de l' école de voile, je me suis arrêté au kiosque pour ratisser tous les magazines nautiques de l' époque et ça ne m'a jamais lâché depuis. » À quatorze ans, il rêve même d'être architecte naval : « J'ai appris ce métier dans les grandes lignes, tout seul avec des livres, au lieu de faire mon histoire-géo. » Mais finalement, il s'oriente vers des études d'architecture classique, d'abord à Paris Malaquais, une école liée aux Beaux-Arts, puis au Politecnico de Milan en Italie. « Et ce que j'ai appris de l'architecture navale ne me sert à rien dans mon travail aujourd'hui. Ce n'est pas du tout le même métier », conclut-il.

La première fois que quelqu'un est venu demander un bateau à Christian Liaigre, c'était donc pour Rosehearty. Natif de Niort, l'architecte, qui a ouvert son cabinet au milieu des années 80 et dispose désormais d'une renommée mondiale, avait naturellement une vraie affinité avec le monde de la mer. Il disparut en 2020, et l'une de ses dernières volontés était d'ailleurs de s'acheter un bateau.

Mais il n'était pas un marin comme l'est Guillaume Rolland depuis son enfance. Il s'était donc tourné vers lui pour lui confier la direction du projet : « C' était mon premier voilier, un bateau assez classique, un motorsailor, un très beau sujet pour essayer de faire un vrai intérieur de bateau utilisable sur les deux bords, avec beaucoup de références au nautisme et aux classiques. Et quand on navigue, on sait comment ça fonctionne, la gîte, se caler, ne pas avoir l'impression qu'on va valser au premier coup de mer. » Suivra Seahawk, un autre ketch de Perini Navi de 60 mètres, puis Vertigo, un superbe plan Briand de 67 mètres livré en 2011 dont le brief du propriétaire se résumait à “Urban at sea''.

Le studio Liaigre va ainsi collaborer avec les plus grands chantiers et architectes navals en sortant Cloudbreak, un luxueux Explorer de 75 mètres aux lignes signées Espen Øino, ou encore Najiba, un Feadship de 58 mètres dessiné encore par Philippe Briand dont aucune photo de l'intérieur n'a jamais été divulguée, sans oublier Letani, un autre Feadship de 34 mètres avec le cabinet hollandais Sinot.

Le style et l'image Liaigre sont très forts, mais c'est l'intelligence derrière qui compte. Le décor suivra naturellement

« Une bonne architecture, c'est un très bon scénario, explique Guillaume Rolland. Des perspectives au bon endroit, des effets. C'est un langage particulier comme au cinéma, le langage du montage, de l'enchaînement des plans, et quand un film est barbant, c'est qu'il manque la maîtrise et la magie de ce langage. Ces deux métiers sont excessivement proches. Nous sommes plus dans la narration et la manière d'enchaîner les choses entre elles que dans la décoration. Et chaque bateau que nous faisons doit avoir une personnalité forte qui correspond tout simplement aux gens qui sont dedans. Il ne faut pas perdre de vue que l'on va broder, tisser quelque chose autour de personnes. Nous devons traduire leurs envies au plus juste sans chercher à nous faire plaisir. » Il présente l'architecture intérieure comme une suite d'équations à résoudre et évoque son grand-père, inventeur des petites choses du quotidien, un bouchon pour reboucher les bouteilles décapsulées de l'époque ou un porte-clés/ porte-monnaie pour payer le parcmètre. « Il bricolait tout le temps, fabriquait les moules avec son argent et déposait les brevets. Tout est problématique dans la vie, il faut trouver les meilleures solutions. La créativité n'est pas que dans les choses plastiques, elle est dans la manière de résoudre les problèmes. Un espace pour qu'il soit bien, il faut trouver une réponse qui donne plus qu'elle ne prend. Un plan de bateau, c'est une équation très complexe, c'est comme un bon business plan, il y a des combinaisons de choix et d'actions, et il y en a une qui va être plus rentable. C'est le même principe. On est loin de l'aspect dans notre métier. Pourtant le style et l'image Liaigre sont très forts, mais c'est l'intelligence derrière qui compte. Le décor suivra naturellement. »

En 2009, sous l'impulsion de son créateur Christian Liaigre qui souhaite se retirer peu à peu du métier, le studio prend un tournant avec, aux commandes, Christophe Caillaud, un ancien de chez Jean-Paul Gauthier, qui va développer l'entreprise à l'international dans le but de pérenniser la marque dans le temps. Aujourd'hui, le cabinet compte 27 showrooms dans le monde et une trentaine de designers qui travaillent autour de Frauke Meyer, la directrice artistique, et de Guillaume Rolland qui se consacre désormais au domaine du yacht de manière quasi exclusive. Et notre homme ne manque pas de pain sur la planche. Le dernier-né est un motoryacht Sanlorenzo 44 pour un client de Singapour qui voulait associer style asiatique et “french touch” et qui s'est donc tourné logiquement vers le cabinet parisien : « C' est vrai qu'en France, nous avons cette sorte d'héritage de l'architecture d'intérieur, du décor, tout ce XVIIIe siècle très fastueux, on en garde quelque chose dans l'esprit.

On est assez réputés pour ce métier-là. C'est aussi une manière de penser, une attitude et une manière d'aborder les problèmes, une sorte de déviation de la problématique pour trouver des solutions créatives. La “french touch”, c'est plus dans l'approche que dans le style. » Outre son inventeur de grand-père qui l'aide à trouver des solutions, Guillaume Rolland puise surtout son inspiration dans le passé : « J'ai une passion pour le XIXe siècle que ce soit en peinture ou en architecture, je visite beaucoup de châteaux. Le plus inspirant pour moi, c'est d'aller dans des lieux historiques. Il y a tellement à apprendre de l'architecture classique qui donne quasiment toutes les réponses aux problématiques. Quand on l'observe et qu'on la comprend, c'est une bonne boîte à outils. Si on prend Gio Ponti en Italie, il a des plans magnifiques, il y a plein de choses intéressantes, j'adore aussi Carlo Mollino, c'est fascinant, ou plus ancien, Andrea Palladio.

Un espace pour qu'il soit bien, il faut une réponse qui donne plus qu'elle ne prend. Un plan de bateau, c'est une équation complexe

Trois architectes italiens, tiens, il doit y avoir quelque chose... » Le prochain yacht signé Liaigre sera un grand voilier de luxe : un Royal Huisman de 60 mètres prévu pour début 2023. L'année suivante, c'est un Feadship de 100 mètres qui est attendu, leur plus grande réalisation.

Guillaume Rolland parle aussi du refit complet de l'intérieur d'un vieux Perini Navi à Viareggio, sur son lieu de naissance il y a plus de trente ans. Et, d'une manière plus confidentielle, il évoque un 66 mètres de type Explorer, un sloop de 62 mètres et un bateau rapide de 50 mètres capable de naviguer à 45 nœuds. De jolis projets tout ça. Et autant d'occasions pour notre homme de travailler sur le support de ses rêves, le bateau, qu'il soit à voile ou à moteur.

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