Venturi par Sacha Lakic

C'est à 10 ans que survient la révélation : « Je suis dans la rue et tombe nez à nez avec une Ford Mustang. C’est le choc. Quelle agressivité ! Je reste un moment à la regarder. Elle me fait penser à un requin en train de dormir. Je commence à la dessiner pour l’avoir tout le temps avec moi.

C' est là que j' ai compris le pouvoir du design. Pourquoi celle-là me faisait cet effet et pas une autre ? Avec le design, tu maîtrises l’émotion. Tu sais qu’en fonction des formes, tu vas attirer différentes populations et créer des passerelles entre les univers. » Ces passerelles, il va en construire quelques-unes en passant de la moto à l’auto, au mobilier, à l’architecture, à la moto, à l’auto, à la moto... Sacha Lakic, c’est un peu le pendant “mécanique” de Jean-Paul Gaultier : l’enfant terrible du design motorisé.

En 2000, le Monégasque Gildo Pallanca Pastor rachète Venturi

Sacha le rencontre en 2001 : « On a accroché tout de suite. 15 jours plus tard, je lui présentais des dessins.

On était parti sur une sorte de Lotus Elise. A l’époque, je travaillais avec Renault Sport sur un projet de barquette de course. Ça aurait pu être la future Alpine mais le projet a avorté. Au final, ce châssis est un peu devenu celui de la première Venturi. Un moteur 2l d’origine Renault et la Fetish était née . » Et celui que les passionnés d’automobiles connaissent pour être LE designer de la nouvelle ère Venturi aussi.

Et puis un jour, Gildo Pastor essaie une voiture électrique dans la Silicon Valley. Il lui demande de venir l’essayer et de lui donner ses sensations. « On est en 2012.

Je vais donc à Los Angeles. Je suis bluffé par l’accélération et l’absence de bruit. Ton cerveau n’anticipe plus l’accélération, les sensations sont incroyables. J’ai l’impression d' être dans un jeu vidéo. » La Fetish 2 sera donc électrique. Gérard Ducarouge, une pointure en châssis, légende de la F1, rejoint l’équipe. Ensemble, ils vont voir les concepts Matra et sont séduits par la “baignoire” en carbone : « C' est le concept de l' araignée : un corps au poids concentré (centré), tout ce qui s' en éloigne doit être le plus léger possible. Avec Gérard, nous créons l’architecture idéale : masses centrées au maximum, proches du sol, tout était optimisé. » Aujourd'hui, Ferrari ose l’électrique sans que ça ne nous réveille la nuit. Mais à l’époque, l' accueil est mitigé de la part des aficionados de la marque : « Nous sommes passés de “passionnés d' automobiles” à “visionnaires”».

L’essentiel de son travail est d’avoir une réflexion expérimentale : comment fait-on bouger les choses ? Sacha cite Raymond Levy : « En terme de design, il faut toujours aller jusqu' au maximum de l’acceptable. »

Un leitmotiv qui devient sa signature. « Un jour Bimota me demande de faire quelque chose de violent, un truc qu’on ne verra nul part ailleurs. J’ai fait la Mantra. Avec Venturi, c’est pareil, nous défrichons des territoires inconnus. » Venturi a donc 10 ans d’avance... Et pas une voiture de série ? « Le but de Venturi est de créer des vitrines hi-tech pour montrer son savoir-faire et fournir de la technologie de pointe. J’avais un bureau d’études de 35 personnes à ma disposition, on a créé des choses incroyables, vraiment en avance. Et puis Venturi, ce n’est pas fini ! Gildo Pastor a vécu une passe difficile mais n'a jamais baissé les bras. Venturi se recentre aujourd'hui sur le sport : records de vitesse, Formula E, Venturi Global Challenges… »

Comme le disait Raymond levy : « Il faut toujours aller jusqu’au maximum de l’acceptable »

Et donc, taquins que nous sommes, nous lui demandons dans quelle Venturi il roule. « Ah ah, méfiez-vous, l'America que nous avons présentée cette année pourrait être commercialisée ! C’est la plus aboutie des Venturi. En attendant, je ne roule qu’en cabriolet. La seule exception a été une de mes premières voitures : la Clio Williams. J’ai eu une Fiat Spider Europa, une Lotus Elan, une 911 4S Carrera Cab et maintenant une 911 GTS Cab. C’est la machine ultime, elle est parfaite. Une 911, c’est un exercice d’équilibriste hyper difficile. C’est la possibilité d' avoir une seule voiture pour tout faire. »

Pas d’électrique donc ? « J’étais aussi très intéressé par la BMW i8. Mais elle n’existe pas en cabriolet. J’aime beaucoup le parti pris esthétique, ils ont eu beaucoup de courage de la faire. »

Sacha pose son regard de designer sur l’automobile d’aujourd’hui.

Il parle d’influences culturelles, de contraintes économiques et revient sur cette mode du néo-rétro : « Les constructeurs ont pris conscience qu’il fallait raviver le patrimoine, on sent un désir de puiser dans son histoire, de se rassurer et de rassurer leur public. » Les New Beetle, Mini et autres Mustang signeraient elles un manque de créativité ? « Non, ça fait partie de leur histoire. Le design, c’est avant tout une idée et la manière dont tu vas l’exprimer est un autre travail. Ces projets viennent des team marketing mais tu as besoin d’hommes de talents pour que ça marche ». En parlant de néo-rétro, Sacha nous montre en exclusivité ses dessins de la Venturi GT. « C’est un peu la voiture de mes rêves...

J’ai dessiné ça en hommage à la Venturi 400 GT de 1994, pour fêter les 30 ans de la marque (en 2014).

Cette fois-ci, je n’ai pas pu partir d’une feuille blanche. Il a fallu capter l’ADN d’origine et le retravailler dans le contexte actuel où les autos sont plus basses, plus allongées. J’ai essayé de retrouver les sensations de ma première rencontre avec la 400 GT : Peu de porte-à-faux, une certaine brutalité dans les lignes, la cassure au niveau de la ligne de toit, cet aileron imposant... Ah oui, je ne vous ai pas dit ? Les voitures ont un sexe ! Regardez ma 911, elle est féminine. Cette GT, elle est masculine »

L’avenir de l'automobile, Sacha le voit riche d’une segmentation toujours plus forte : « Je refuse de croire qu’on n ' aura que des véhicules autonomes. J’imagine des véhicules de “niche” dans différents domaines. Si tu prends l’exemple de la moto, la jeune génération est dans la customisation de modèles qu’ils n’ont pas connus. C’est la branchitude des 25/30 ans.

Les voitures ont un sexe : La GT est un garçon…

Nous avons un besoin de culture, d’indépendance, sommes à la recherche perpétuelle de plaisir.

L'homme réagit dans l'urgence. On va savoir réagir pour conserver la passion. » Bon, avec tout ça, on a envie de connaître la suite. Tu travailles sur quoi en ce moment Sacha ? « Je suis en train de dessiner un bateau pour Gildo Pastor, un catamaran de course familial pour 2018. Je planche aussi sur une Voxan, une moto de record de vitesse en électrique, objectif 2016 sur le lac salé. Et deux trois choses comme une collection de lunettes pour une marque de luxe, une gamme de vélos grand public, des préparations motos et des projets d' architecture assez innovants, de nouvelles collections de meubles. » Sacha Lakic est l’un des rares designers à graviter dans autant d' univers. Avec les meilleurs.

« Je ne m'imagine pas aller voir ailleurs. Nous avons tissé des rapports de confiance. C' est une relation affective liée à la création, tu intègres une part de responsabilité pour que le produit marche et se vende, tu fais partie d' une famille. » Nous voilà rassuré, Sacha ne semble pas prêt à laisser ses stylos dans sa trousse.

« Je suis incapable de faire autre chose... J’aurais pu être attiré par des métiers comme acteur, musicien, pourquoi pas pilote. Mais si je ne suis pas sûr d’avoir une chance de gagner, je ne vais pas y aller... Et puis ce métier de designer réunit plein de facettes. C’est un métier de passion. »

En regardant une dernière fois ses étonnantes créations pour Venturi, nous tentons de savoir s’il a une petite préférée. « Difficile à dire... Je ne m’attarde pas sur le passé. Je regarde devant ».

Vous croiserez peut-être Sacha au détour d’une rue de Paris, New-York, Dubai, Shanghai, Monaco ou du Luxembourg. Sinon, il vous suffira de regarder devant vous, vous y retrouverez forcément une de ses créations. 

AH