Auto union Schnellsportwagen : formule 1 berline
Le département “Tradition” d'Audi a eu l'excellente idée de donner vie à un projet délirant que les ingénieurs de Porsche avaient esquissé il y a 90 ans… mais qu'ils n'avaient jamais pu concrétiser. Ils voulaient tout simplement mettre sur la route la machine la plus démoniaque jamais imaginée. Par Serge Bellu.

En 1934, Porsche a imaginé transformer une monoplace de F1 en berline routière, un projet abandonné puis ressuscité en 2024 par Audi avec une réplique fidèle et moderne.
Un jour ou l'autre, la plupart des ingénieurs et des designers ont imaginé qu'ils seraient capables de métamorphoser une monoplace de F1 en grande routière superlative ! Cette idée folle et récurrente, une poignée de concepteurs l'ont eue un jour de 1934 dans le huis clos du bureau d'études que venait d'ouvrir Ferdinand Porsche. En janvier 1931, le célèbre Professeur a décidé de prendre son indépendance après avoir acquis une solide réputation à la direction technique de Mercedes-Benz.
Le Porsche Konstructionsbüro ouvrit ses portes, au 24 de la Kronenstraße, une rue tranquille de Stuttgart. Parmi ses premiers clients, l'ingénieur autrichien compte deux fabricants de motos qui veulent étendre leur activité à l'automobile en produisant des voitures populaires : NSU et Zündapp. Dans son carnet de commandes, Porsche possède aussi des projets beaucoup plus ambitieux.
Il a en effet été commissionné par Auto Union AG pour concevoir une machine de Grand Prix. Ce groupe a été formé le 29 juin 1932 par le rassemblement des marques DKW, Wanderer, Audi et Horch confrontées à la crise économique déferlant sur l'Allemagne. Les quatre anneaux du sigle d'Auto Union symbolisaient l'association des quatre labels commerciaux tandis que l'appellation générique “Auto Union” allait être appliquée aux machines de compétition.

La folie Auto Union Type A
L'étude du Type A, démarrée en mars 1933, débouche sur une monoplace extravagante et monstrueuse. Les ingénieurs de Porsche n'ont pas privilégié la facilité en choisissant une architecture révolutionnaire comportant un énorme moteur seize cylindres en V disposé au centre de la machine, en avant de l'essieu arrière. Dans le discours des idéologues du Troisième Reich, la vitesse et la puissance font partie de la propagande. La voiture exerce alors un pouvoir de fascination dans une Allemagne ruinée et humiliée. Le prestige de la nation passe par la mise en valeur de voies de communication modernes avec un réseau autoroutier unique en Europe.
Hitler a réactivé le déploiement des “Autobahnen”, un réseau autoroutier destiné à la fois à faciliter les communications et à jouer un rôle stratégique. Les larges voies peuvent en effet, le cas échéant, servir de pistes d'atterrissage et de décollage pour l'aviation. En attendant, les longues lignes droites qui sont l'apanage des autoroutes seront le théâtre de joutes mémorables entre les constructeurs qui s'emploient à battre des records de vitesse pure. Cet état d'esprit a des répercussions sur les gammes commercialisées : chez plusieurs constructeurs, comme Mercedes-Benz ou Adler, fleurissent des voitures rapides taillées pour les Autobahnen. L'État encourage la participation dans les Grands Prix de Mercedes-Benz et d'Auto Union qui vont s'affronter au plus haut niveau du sport automobile entre 1934 et 1939.
Dans un contexte où le sport est politisé, les deux rivales disposent de subsides de l'État. Chez Porsche, dans le secret du bureau d'études, il y a une palanquée de chercheurs qui phosphorent et échafaudent des projets délirants. On imagine qu'un jour, l'un d'entre eux lance une idée folle à la cantonade : pourquoi ne pourrait-on pas élaborer une berline grande routière à partir de la monoplace de Grand Prix ? Le provocateur joint le geste à la parole. Il griffonne des croquis et des plans qui précisent les contours de son utopie et indiquent ses dimensions.

De la course à la voiture populaire
Le projet est référencé sous le Type 52. L'architecture générale reste la même que celle de la voiture de course : le moteur trône au cœur de l'habitacle tandis que le poste de conduite, fortement avancé, est placé au centre, entre les deux sièges des passagers avant. Le museau court contraste avec le profil surbaissé et effilé vers l'arrière.
Mais est-ce bien le moment pour proposer de tels délires ? Pas sûr, car Porsche a été chargé d'un autre dossier, autrement plus réaliste, celui qui doit aboutir à la Volkswagen. En janvier 1934, Ferdinand Porsche résume ses travaux dans un exposé sur « la construction d'une voiture populaire allemande » ; cinq mois plus tard, il est officiellement commissionné par le gouvernement nazi pour étudier cette “Volkswagen” accessible au plus grand nombre.
Ferdinand Porsche est nommé à la tête du Gezuvor, une société chargée du développement du projet. Un plan industriel et social est mis en place avec la création d'un “Front allemand du travail” (Deutsche Arbeitsfront) tandis que la commercialisation est confiée à un organisme affilié, chargé des loisirs, baptisé “La Force par la Joie” (Kraft durch Freude). Ses agents invitent la population à signer des contrats d'épargne pour acquérir la voiture au prix de 990 Reichsmark. Lors de son lancement, c'est sous cette identité - KdF-Wagen -que la VW se fait connaître à travers les annonces publicitaires. Pour dessiner la VW, le bureau d'études de Porsche suit les grandes lignes des anciens projets esquissés pour Zündapp et NSU, conservant notamment le principe du moteur arrière refroidi par air.
Les trois premiers prototypes de la VW doivent rouler en octobre 1936. Pas question donc de se disperser. Il n'y a plus une minute à perdre avec des élucubrations comme le projet 52 qui va être purement et simplement remisé. Le dossier concernant la berline profilée du Type 52, la “Schnellsportwagen” homologuée pour la route, est refermé. Le projet n'ira pas au-delà de l'intention. Il est mis en sommeil pendant près de 90 ans.
Jusqu'au jour où Stefan Trauf, le patron d'Audi Tradition, décide de lancer la fabrication d'un prototype. Il s'adresse à un atelier de restauration britannique devenu une véritable institution en la matière pour avoir réalisé des reproductions parfaites de nombreuses pièces de collection qui avaient disparu corps et biens. Les carrossiers ont notamment fabriqué une réplique de la fantastique Dymaxion conçue par Richard Buckminster Fuller à l'attention de l'architecte Norman Foster. Dans son exécution de 2024, l'Auto Union Type 52 est établie sur un empattement légèrement rallongé (de 3 mètres à 3,31 mètres) et le moteur est limité à une cylindrée de 4,3 litres. La réplique a effectué ses premiers tours de roue en juillet dernier lors du Festival of Speed. À son volant, Hans Stück, le fils du pilote Auto Union...

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