Frank Huyghe : en apesanteur
La marque française indépendante Ralf Tech a réussi à passer des profondeurs océaniques à l'infini de l'espace. Personne ne l'attendait là-haut. C'est pourtant Ralf Tech, spécialiste de la plongée, qui décroche une collaboration avec le CNES et réalise la première montre française de l'espace ! Par Carine Lœillet.

Le 27 mars 2024, au cours d'un vol scientifique 0G de six heures au-dessus de l'Atlantique orchestré par le Centre national d'études spatiales (CNES), deux montres Ralf Tech ont été testées 40 fois en apesanteur. L'une d'elles était au poignet de Frank Huyghe, fondateur et président de Ralf Tech. Née en 2008, la marque horlogère française et indépendante se distingue avec ses montres robustes, destinées à l'origine à la plongée sous-marine. Comment sont-elles passées des profondeurs océaniques à l'infini de l'espace ? Comment la marque a-t-elle pu gagner la confiance de l'agence spatiale française et ainsi décrocher la lune à la barbe et au nez des grandes maisons horlogères suisses ?
Le mérite en revient à un homme. Frank Huyghe n'est pas issu du sérail de l'horlogerie. Loin de là. À mi-chemin entre hasards de la vie et détermination à suivre sa destinée, son parcours s'apparente à une succession de rencontres. « Je ne suis pas un horloger mais un simple passionné de montres, que je collectionne depuis l'âge de douze ans. » Dans le discret showroom de Ralf Tech, à deux pas de la place Vendôme, Frank Huyghe reçoit sur rendez-vous. Aux murs, des photos de plongée et de montres en situation. Dans le coin salon, un casque de scaphandrier.
Le sien. « Je viens de la plongée sous-marine professionnelle, rappelle en préambule Frank Huyghe, j'étais scaphandrier, sous des plateformes un peu partout dans le monde. » Parti très jeune à l'aventure, une première rencontre l'a conduit à devenir plongeur. D'autres rencontres l'ont introduit dans le milieu militaire. Là où la parole donnée revêt une valeur particulière et où un engagement vaut pour signature de contrat.
Quand on est capable de descendre à 4 000 m au fond des océans, pas de problème pour aller dans l'espace.
Frank Huyghe

Horlogerie et plongée militaire
Alors qu'il était plongeur, les outils qu'il utilisait ne lui donnant pas entière satisfaction, il a développé son propre matériel, d'abord pour son usage personnel puis pour celui de ses collègues. Il a fondé Ralf Tech en 1996, maison alors spécialisée en matériel de plongée sous-marine haut de gamme et technique. Plusieurs brevets sont déposés, qui intéressent un concurrent auquel ce département sera revendu en 2007. Entre-temps, en 2003, le plongeur français Pascal Bernabé contacte le fondateur de Ralf Tech. Il lui propose une collaboration pour s'attaquer au record du monde de plongée en scaphandre autonome, qui était alors de -318 m.
Le 5 juillet 2005, en baie de Propriano, en Corse, Pascal Bernabé a réalisé une plongée de dix heures à -330 m. Un record qui reste encore inégalé à ce jour. Au poignet de Pascal Barnabé, la première montre signée Ralf Tech. Frank Huyghe l'avait conçue pour servir d'instrument de mesure de secours au plongeur, en cas de défaillance du matériel électronique. En 2008, il réalise son rêve d'enfance : devenir horloger. Il dessine et conçoit la montre WRX, qui deviendra le modèle emblématique de sa marque. Pour la tester de manière plus pointue, il s'adresse au commando Hubert de la Marine Nationale et confie quelques montres à des opérateurs en partance pour une opération extérieure dans un pays en guerre. Elles reviennent quelques mois après, en parfait état de marche.
Le commando demande à équiper toute l'unité, soit une centaine de personnes. La première série de montres militaires Ralf Tech est ainsi née en 2010. Près de quinze ans plus tard, la marque est référencée auprès de 102 unités dans le monde, dont une quinzaine d'unités françaises qui dépendent du commandement des opérations spéciales (COS) et les unités d'élite de la police comme de la gendarmerie : Raid, GIGN, BRI. Sans oublier toutes les brigades fluviales et les professionnels qui évoluent sous l'eau.

Ralf Tech dans l’espace
Elle est notamment présente en Belgique, Hollande, Angleterre, Portugal, Italie, Grèce. Cerise sur le gâteau, les Suisses aussi achètent ces montres françaises pour équiper leurs forces spéciales. Elles fonctionnent avec un mouvement électrique fabriqué sur mesure pour la marque par Ronda, dont la batterie au lithium affiche une autonomie de douze ans. Si l'horloger s'ouvre depuis cinq ans au grand public - avec une cinquantaine de points de vente, dont la moitié à l'étranger -, la maison reste une référence auprès des professionnels. Être performant sous l'eau est une chose. Mais pourquoi et comment passer de la plongée sous-marine au spatial ?
Un membre des forces spéciales françaises a demandé au patron de Ralf Tech s'il avait déjà songé à fabriquer une montre pour aller dans l'espace. Ce à quoi il a répondu : « Quand on est capable de descendre à 4 000 m au fond des océans, cela ne devrait pas nous poser de problèmes. » Les choses s'enchaînent alors rapidement pour la marque tricolore, mise en relation avec les équipes du CNES, puis engagée avec un protocole d'accord de trois ans auprès de l'agence spatiale française pour éditer trois montres destinées aux astronautes. « Au CNES, on nous a assuré que les montres vont un jour partir dans l'espace, raconte Frank Huyghe. Simplement, on ne sait pas quand ni aux poignets de qui elles s'afficheront . »

Le premier modèle édité est la Space Millenium, dont l'inspiration est venue des films de science-fiction des années 1970 et 1980, où la forme octogonale était omniprésente. On la retrouve sur le cadran composite percé en nid d'abeilles, pour gagner du poids. Le boîtier en titane aéronautique est aussi évidé pour être le plus léger possible, tout en maintenant une rigidité optimale et une résistance aux déformations. Dérivé du boîtier de la WRX, celui de la Space Millenium est allégé aux deux-tiers. Le cahier des charges, ce sont d'anciens astronautes français qui l'ont établi, que Frank Huyghe a pu interroger.
Parmi eux, Michel Tognini, astronaute de l'agence spatiale européenne (ESA) jusqu'en 1999, s'est montré le plus pragmatique : « Nous avons seulement besoin de l'indication de l'heure. Pas l'heure sur la Lune, ni l'heure sur Mars ! » Pour lui, la montre devait rester légère, suffisamment grosse pour être lisible, dotée d'une indication des 15 minutes correspondant à la plupart des expériences à réaliser dans l'espace et d'un bracelet à scratch pour s'adapter sur et sous la combinaison des astronautes. Pour chaque montre vendue, Ralf Tech s'est engagé à reverser 100 euros à la Fondation Ailes de France, dont le CNES est déjà partenaire. Commercialisée le 20 juin dernier, la série limitée à 100 pièces a réussi la performance de conquérir 44 acquéreurs en seulement 24 heures.
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