Rolex Comex : joyau d'abysses
Référence absolue pour les connaisseurs des montres de plongée, les Rolex COMEX s'arrachent à prix d'or. Pour la première fois de son histoire, l'entreprise marseillaise d'ingénierie maritime, d'ordinaire ultra-secrète, nous a ouvert ses portes et dissipe les mystères qui entourent ces précieuses montres. Par Frédéric Brun.

Repousser les limites est une affaire d'hommes. Ce n'est pas Alexandra Oppenheim-Delauze qui le contredira. Ce n'est pas son genre. Douée d'un franc-parler sincère, la présidente de la COMEX, fille du fondateur, met avant tout le capital humain au centre de son action. « Mon rôle est d'anticiper la place de notre société dans la société ; c'est ma responsabilité de chef d'entreprise » affirmait-elle en prenant les rênes de la Compagnie Maritime d'Exploration. Pionnière de la plongée à des profondeurs extrêmes, la COMEX est détentrice du record du monde à -701 mètres. Après avoir fait fortune dans le pétrole et le nucléaire avant de sombrer, elle reste à l'avant-garde dans les technologies hyperbares et mise sur son capital humain pour refaire surface.
« Je veux capitaliser sur notre cœur de métier afin que nous n'ayons pas à nous poser de questions sur notre solidité lorsque nous aurons déterminé ce que représentera la mer dans le futur de notre planète, et donc la façon dont la COMEX devra contribuer à concrétiser cette vision. » Tournée vers le futur de l'être humain sous les mers ou dans l'espace, car c'est dans cette nouvelle dimension que l'entreprise marseillaise apporte aujourd'hui son expertise aux scientifiques et aux ingénieurs du monde entier, l'ancienne agricultrice garde les pieds sur terre. Mais ses racines la font toujours revenir vers Marseille.
Héritage en eaux profondes
Comme son grand-père, Alexandra Oppenheim-Delauze a eu plusieurs vies et une trajectoire guidée par les intersections que forment les engagements et les hasards de l'existence. Elle a travaillé dans une banque puis dans le tourisme fluvial, elle a été restauratrice, gérante d'un salon d'esthétique et a même fait de la maçonnerie. Autant d'expériences qui donnent une vision large de la nature humaine. Depuis 2016, elle est à la tête de la société d'ingénierie et de recherche maritime fondée par Henri-Germain Delauze le 3 octobre 1961.
Intrépide et talentueux, ce Marseillais amoureux de la mer débordait d'idées, ne s'interdisait pas de réaliser ses rêves. De 1952 à 1955, il a développé ses compétences en plongées spéléologiques et archéologiques avec l'équipe du commandant Cousteau. Parti ensuite aux États-Unis, il sera consultant pour l'U.S. Navy, avant de participer à l'exploration des grandes fosses océaniques de la planète à bord des bathyscaphes expérimentaux du CNRS. Indépendant, il ne manquait ni de caractère ni de ténacité. Dès qu'il avait un nouveau projet, il créait une filiale. De son entreprise d'exploration maritime, il va faire un géant mondial de l'ingénierie, des technologies de pointe et des interventions humaines ou robotisées sous-marines.
Il développera des activités majeures dans les domaines de l'exploitation offshore du pétrole et du nucléaire civil. Peu d'entreprises peuvent se vanter d'avoir amené l'homme au-delà de son milieu naturel terrestre. À part la NASA avec les programmes lunaires, il n'y a guère que la COMEX. L'histoire de la petite entreprise, basée dans une jolie bastide provençale traditionnelle, boulevard de l'Océan, au cœur d'un domaine en surplomb de la Pointe Rouge et de la Madrague Montredon, à deux pas des calanques, est une épopée qui dépasse la chronique locale.

L’humain au cœur de l’abysse
En explorant les profondeurs, il va être question, pendant plus d'un demi-siècle, de comprendre le fonctionnement du corps et de l'esprit humains poussés jusqu'au paroxysme de la pression ou du confinement. Dès 1964, Henri-Germain Delauze développe son premier Centre d'Essais Hyperbare. En 1968, il inaugure un ensemble hyperbare 300 mètres et un grand ensemble modulaire de saturation pour des études physiologiques sur son site de l'Estaque. Des recherches inédites sont menées pour la plongée en saturation sous hydrogène jusqu'à 800 mètres. Des aventures au cours desquelles apparaissent dans son sillage d'autres figures essentielles de l'exploration marine, comme Jacques-Yves Cousteau ou le plongeur Robert Falco.
Pour ses explorations, Henri-Germain Delauze ne veut travailler qu'avec les meilleurs et impose la même règle pour le matériel : rien d'autre que ce qui se fait de mieux. Quitte à le fabriquer si cela n'existe pas sur le marché. Tandis qu'il conçoit des navires océanographiques et des sous-marins, tout en développant ses activités dans de nombreux secteurs avec des implantations dans le monde entier, il se tourne vers Rolex pour équiper l'élite de ses plongeurs.
Le partenariat se noue au début des années 70. Au cours de son histoire, Rolex n'a produit que deux références spécifiques hors commerce. La “MilSub” référence 5517 pour l'armée britannique et la Submariner 5514 pour la COMEX. Une montre rare, désormais très convoitée par les amateurs avertis, tout comme les autres modèles griffés COMEX. Un marquage dont certains plongeurs de l'entreprise se passaient volontiers à l'époque, préférant une montre plus “neutre” pouvant se vendre plus facilement. Aujourd'hui, c'est l'inverse.

« À l'époque, cela ne suscitait pas tant d' émotion même si tous nos collaborateurs ont toujours aimé ces montres et mesuraient très bien la chance qu'ils avaient de travailler avec de tels instruments de précision. Nous avons des relations anciennes et très fidèles avec Rolex » souligne Alexandra Oppenheim-Delauze avant de rappeler que « certains plongeurs les achetaient quand ils prenaient leur retraite. D'autres se les ont vu offrir en remerciements de services exceptionnels pour l' entreprise. Il y a bien eu aussi quelques plongeurs qui ont dû oublier de les rendre après des tests ou des plongées expérimentales. Avec la folie qui s'est emparée des prix de ces montres, certains Comexiens ont découvert qu'ils avaient une petite fortune au poignet.C'est ainsi que de temps en temps il y en a une sur le marché. Il ne faut pas leur en vouloir. Certains se sont offert une résidence secondaire ou ont pu aider leurs enfants à acheter un appartement. Ce sont aussi des choses qui comptent. »
Il est vrai que l'intérêt pour les Rolex siglées COMEX tourne à la fascination, comme en témoigne Édouard Frojo qui vient d'inaugurer à Marseille une nouvelle boutique Rolex avec un étage dédié aux montres de collection Cerified Pre-Owned de la marque à la couronne où les pièces développées par la manufacture genevoise pour l'entreprise phocéenne sont évidemment mises à l'honneur.
Un univers de collectionneurs où l'on sait aussi l'importance du rôle joué par Jacques Bianchi, le maître artisan horloger ami de Henri-Germain Delauze et du commandant Cousteau, qui a permis des avancées significatives en matière de procédés d'étanchéité. Même s'il a développé par la suite sa propre marque de montres de plongées - dont certains modèles ont même équipé l'armée française -, son nom reste indissociable de l'histoire de la COMEX et du lien avec Rolex.
Rolex, missions et légendes
Résistantes et performantes, les Rolex marquées COMEX seront toujours rares car réservées au personnel de l'entreprise. Comme les pilotes d'essais des jets, ils sont considérés comme des héros modernes. En cinquante ans, la COMEX a mené plus de 5 300 opérations avec plus de mille plongeurs, sans jamais la moindre perte. Près de 2 700 plongées expérimentales humaines ont été conduites. La COMEX détient les deux records absolus de profondeur : -534 mètres en mer (Hydra 8, 1988) et -701 mètres en caisson (Hydra 10, 1992).
Les savants considèrent que le corps humain ne peut aller plus loin. Même si l'entreprise a considérablement réduit la voilure, passant de plus de 2 000 salariés et plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires dans les années 80 à seulement une cinquantaine de personnes aujourd'hui, les recherches qu'elle continue de mener restent essentielles et d'avant-garde. Certaines concernent l'industrie horlogère. En effet, c'est en partenariat avec la COMEX que Rolex a développé la cuve à ultra-haute pression lui permettant de valider l'étanchéité et la résistance de ses plongeuses. C'est grâce à cet équipement spécial qu'a pu être testée avec succès la Deepsea Challenge à une profondeur équivalente à 13 750 mètres.
Cette extrapolation de série de la montre expérimentale développée pour la descente à 10 908 mètres (35 787 pieds) de James Cameron le 26 mars 2012 est en titane RLX et dispose d'une valve à hélium et du système Ringlock, c'est-à-dire une architecture de boîtier renforcée comprenant un verre saphir épais et légèrement bombé, une bague de compression en acier enrichie à l'azote et un fond en titane RLX. Exclusives et testées en conditions réelles par des plongeurs hors du commun, il n'y a rien d'étonnant si les Rolex COMEX fascinent autant les collectionneurs. Ces plongeuses ont de la profondeur. Ceux qui les portent aussi.

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