Baruna : Le prix de la perfection
De sa conception, sous le crayon du génial Olin Stephens, à sa restauration en Europe, Baruna a toujours bénéficié de l'expertise des meilleurs. Entre deux régates à Saint-Tropez, nous vous emmenons découvrir l'histoire de ce yacht sur lequel tout confine à la perfection. Par Pauline Marcel.

Après une régate sportive sous le vent soutenu du golfe de Saint-Tropez, l'élégante carène de Baruna est maintenant à quai, à proximité du motor-yacht Blue Bird, son “mother ship”. Parmi les nombreux voiliers réunis pour les Voiles de Saint-Tropez, Baruna n'est ni le plus grand ni le plus rapide, et pourtant, il a ce petit “je-ne-sais-quoi” qui retient l'œil immédiatement.
Dès la poupe du navire, le pavillon donne le ton, l'Union Jack panaché de blanc indique que l'armateur est membre du “Squadron”, le prestigieux Royal Yacht Squadron, une bonne maison dirons-nous. Puis notre regard s'attarde sur les détails du pont, et chacun attise davantage notre curiosité : accastillage, ébénisterie, ergonomie, équipement, finition des menuiseries, gréement, chaque élément semble avoir bénéficié d'une réflexion profonde, à la fois technique, esthétique et pratique. Absolument rien n'est laissé au hasard. C'est impressionnant d'intelligence et de cohérence. Sans nul doute, nous avons affaire à des orfèvres de la restauration de yachts classiques, et c'est heureux, car Baruna est un yacht au passé prestigieux qui méritait l'attention des meilleurs charpentiers de marine.
Naissance du Baruna et ses premières courses
L'histoire commence aux États-Unis à la fin des années 1930. Un certain Henry C. Taylor sollicite Olin Stephens pour concevoir un yacht de croisière confortable pour sa famille. Cela étant, l'homme est aussi ambitieux dans ses affaires que pour son bateau et il souhaite lui faire bénéficier des meilleures technologies de l'époque. Il veut un voilier performant. En l'occurrence, il est fasciné par Ranger, le J Class de la démesure construit pour l'America's Cup. Un modèle de ce dernier a été testé dans les premiers bassins de carène de l'Institut Stevens et les résultats sont riches d'enseignements. Henry C. Taylor souhaite donc une version réduite de Ranger à 72 pieds, adaptée à la navigation au long cours, avec des tests de modèle en bassin de carène.
À chaque étape de la construction du voilier, le futur armateur viendra initier des innovations. Construit au chantier Quincy Adams dans le Massachusetts, le yawl bermudien est mis à l'eau au printemps 1938. Dès sa première participation à la “Newport-Bermudes”, il s'illustre par sa vélocité, et gagne la course de 650 milles en franchissant la ligne d'arrivée avec huit heures d'avance sur le deuxième. Baruna est le grand vainqueur de la flotte et de sa propre classe, la Classe A. Le prix du meilleur navigateur est alors décerné à son concepteur, Olin Stephens, qui était à son bord. Le yacht rejoint ensuite la côte ouest des États-Unis. Durant des dizaines d'années, il navigue dans la baie de San Francisco et bénéficie des premières innovations en terme d'accastillage, notamment avec l'ajout de self-tailings sur les winchs et de moulins à café en complément.
Restauration sur mesure
Il y a quatorze ans de cela, Tara Getty jette son dévolu sur Baruna, mais l'acquisition n'a rien d'évident, le propriétaire en demande un prix astronomique alors que le bateau est maintenu à flot par des pompes électriques, et il exige d'être payé en lingots d'or ! L'acquéreur décide finalement d'acheter Skylark, un autre plan Stephens qui a déjà bénéficié d'une première restauration. Avec ce bateau, il participera à plus de 300 régates. Cela étant, il poursuit les discussions avec le vendeur de Baruna. Après six années de tractations, les deux hommes finissent par trouver un terrain d'entente et le voilier quitte San Diego pour rejoindre l'Europe par cargo.
Il s'ensuit plus de sept ans de restauration, des travaux de grande envergure confiés au chantier Robbe & Berking en Allemagne. Chaque pièce de bois sera démontée et refaite sur mesure pour conserver l'âme originale du bateau, en acajou à l'extérieur, et en pin d'Alaska à l'intérieur. Le mât est construit à partir de soixante pièces de bois de sept mètres de long, afin qu'il soit creux. Chaque montant est testé par fréquence sonore pour mesurer son élasticité, les pièces les plus rigides étant utilisées dans les sections inférieures, avec une flexibilité croissante dans les parties supérieures.

Cela étant, ses dimensions respectent les plans originaux. L'électronique est confiée à la meilleure compagnie du secteur qui équipe également les maxis et les IMOCA du Vendée Globe. Il saisit et analyse des milliers de données, et permet, entre autres, de mesurer la tension des bastaques. Quatre caméras sont installées sur le pont, et le tacticien est même doté d'une paire de lunettes avec caméra pour filmer la régate, un accessoire qui peut devenir bien utile en cas de réclamation. Pour toutes les étapes de réfection du voilier, la même exigence sur mesure était la norme.
Les winchs et les moulins à café ont ainsi été moulés dans un alliage plus léger et coloré spécialement pour rappeler le bronze d'origine. La couleur des cordages a également été définie pour être en harmonie avec l'esthétique du pont. Comme s'amuse à le dire le tacticien : « La seule chose qui n'est pas sur mesure, ce sont les gants des équipiers. » Le propriétaire est un perfectionniste, et son chef de chantier Tony Morse l'est tout autant, si ce n'est plus. Pour optimiser la conception du plan de pont, ils vont ainsi construire une réplique complète du pont, à taille réelle, pour s'assurer de sa praticité, tant pour les manœuvres en régate que pour le confort des équipiers.
Philosophie du propriétaire
En effet, le propriétaire apprécie tout particulièrement de naviguer avec ses amis, et il veille à ce que les conditions de navigation soient confortables pour que tous y prennent du plaisir. Il aime la régate, certes, mais ce qui compte le plus, c'est de partager de bons moments avec ses hôtes, et pour être sûr qu'ils viennent à bord, il a donc judicieusement imaginé le plan de pont pour que chaque poste offre une bonne ergonomie, sans nuire à l'esthétique générale du bateau.
Dans cette dynamique qui place la convivialité au cœur de la navigation, il a d'ailleurs créé le Vintage & Classic Yacht Club pour que cet état d'esprit rayonne davantage encore. Il porte ainsi une nouvelle philosophie de la régate et souhaite la partager avec les autres bateaux. À son sens, il est important de trouver le juste équilibre entre le propriétaire, ses invités et les professionnels. Ces derniers sont juste au service des premiers, et la bonne ambiance du bord prime tout autant, si ce n'est plus, que la compétition. Les intérieurs offrent le même niveau d'exigence que le pont, sans concession aucune.
La reproduction de la timonerie en acajou respecte les lignes originales dans les moindres détails. Puis viennent la table à cartes, avec ses écrans de surveillance, le carré, spacieux, avec une bibliothèque, la cuisine et les salles de bains avec leurs finitions en marbre, les cabines, et ici et là, quelques peintures savamment choisies. Le tout forme un ensemble à la fois luxueux, élégant et sobre, un intérieur pensé par un yachtman distingué, sans aucun doute. Conçu pour naviguer avec vingt équipiers, le yacht de 21,75 mètres est aujourd'hui basé à Saint-Tropez. Il participe au circuit des régates classiques en Méditerranée et évolue dans une classe très dynamique qui compte d'autres plans Stephens.
Il peut ainsi défier ses pairs que sont Stormy Weather, Comet ou encore Dorade. Ses conditions de navigation idéales sont au-delà de 12 nœuds de vent apparent. Le racer peut aussi s'avérer rapide avec des vents plus soutenus, il a ainsi atteint une vitesse de 10-12 nœuds dans 20 nœuds de vent. Il est possible qu'il participe à la mythique Newport - Bermuda Race en 2026, auquel cas le propriétaire ferait faire un nouveau jeu de voiles, plus adapté à la navigation au long cours.

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