Bruno Gillet : les coulisses de l'exploit
Ce petit livre rouge Dans les coulisses de la course moto est une pépite ! Le journaliste Bruno Gillet, en prise directe avec l'univers de la vitesse, y raconte, avec subtilité, 100 anecdotes croustillantes glanées pendant quatre décennies. À lire absolument ! Par Claude de La Chapelle.

Bruno Gillet l'énonce en guise de préambule de son recueil de 216 pages, fruit d'un travail d'investigation où la prescription offre l'avantage de libérer la parole : « C'est un livre sans photos car c'est un livre d'histoires. Et les histoires, il convient que chacun se les représente à sa façon. Le suggestif prévaut sur le démonstratif. Et puis comment illustrer une anecdote si l'on n'en a pas saisi l'instant sacré ? Dans sa tête, précisément. » À travers ces quelques phrases, l'auteur installe le décor et nous plonge dans son univers de mots et de motos. L'écriture, c'est son dada.
Sur les courses, l'aspect humain est le plus passionnant, riche, complexe, infini.
Bruno Gillet
Une vie consacrée à l’écriture et à la moto
« Je ne fais que ça, absolument tout le temps. Et quand je n' écris pas, je lis. Frédéric Beigbeder disait : “ Je n' aime que lire, écrire et faire l'amour. Donc une chambre avec un lit, une machine à écrire et une bibliothèque me suffit.” Je suis moins pur que lui, j'adore la gastronomie », avoue Bruno Gillet avec un brin de malice. Dans sa maison de Hyères, son écritoire est quasi monacal : une petite table en bois sur laquelle sont posés un ordinateur et une lampe, jouxtant un banc, sans accoudoirs, où, tel un moine copiste, il s'attelle à noircir des pages.
« J' écris énormément la nuit, quand le monde s'arrête, que la fureur et la folie entrent en paralysie temporaire et que l'obscurité n'est percée que du halo de ma lampe. La nuit, c'est du moins le moment où je rédige car en fait, j' écris toute la journée en ce sens que je prends des notes en permanence, partout, tout le temps, autrefois sur un calepin, désormais sur mon téléphone. C'est devenu un réflexe pavlovien, je reste perpétuellement aux aguets, ne rien laisser passer, gauler une expression sur le vif, coucher une réflexion qui vous vient soudain, une rime, une terminologie cocasse, un truc qui sonne à l'oreille ».
Ce plaisir d'assembler consonnes et voyelles pour informer et faire voyager ses lecteurs, Bruno Gillet le cultive et le cisèle depuis quarante ans et ses débuts à Moto Journal en 1982, engagé comme reporter sur les Grands Prix - « en me pointant à l'arrache », précise-t-il. Il y restera jusqu'en 2017, trente-sept années au sommet, pour des écrits qui font référence, en complicité avec les champions, sans sortie de route, sans jamais les trahir, nouant des amitiés fortes, qui forment le socle sur lequel sont ancrées les fondations de son petit livre rouge.

Débuts et premier Roman
Avant Moto Journal , Bruno a été employé au service commercial de Kawasaki France et, encore avant cela, comme vendeur de motos, à la source de son parcours professionnel.
Il se souvient : « On était en 1979 et j'apprends que Patrick Pons vient d'être champion du monde 750, alors direct, je kicke ma Yamaha 400 RD pour monter à Paris le féliciter. Je ne le connaissais pas, et évidemment, il n' était pas à son magasin, avenue de la Grande-Armée, mais en un quart d'heure, son associé m'a embauché comme vendeur. » Il abandonne alors sa préparation Sup de Co où, blouson noir et cheveux longs, il ne cadrait pas avec la population en costume trois-pièces et ses aspirations.
« Je m' étais trompé de film » plaide-t-il. Après avoir parcouru la planète dans le sillage et l'intimité des as du Continental Circus, Bruno, en 2019, s'est fendu d'un premier roman, Les bonnes nouvelles sont rares , qu'il définit comme suit : « Ce sont des textes courts à la fois cyniques et facétieux, quelque part tragiquement lucides, voire satyriques. Certains parlent même d'un recueil caustique, gaillard, dérangeant. C'est un peu un ovni par sa forme très variée comme par son fond, mais c'est l'ouvrage qui m'a vu m'investir le plus. Tout est à la première personne, mais selon la nouvelle, j'entre dans de multiples personnages, je varie les verbiages. »
Influences littéraires et motocyclistes
Dévorant les livres des autres, qu'il déguste avant de les oublier pour avoir la joie de les relire, en se qualifiant de « glouton littéraire amnésique », Bruno Gillet se nourrit des envolées de Romain Gary, Emil Cioran, John Fante, Charles Bukowski, Emma Becker, Regis Jauffret, Sylvain Tesson, et son chouchou Jean-Paul Dubois, avec comme livre de chevet Tous les matins je me lève , qu'il évoque en ces termes : « Ce ne sont que des moments de vie très simples à lire, mais d'une fluidité incroyable et chargés de tous ces petits riens qui peuplent nos vies personnelles, nos espoirs et nos doutes, nos interrogations jamais assouvies, toujours renouvelées. Dans l'art comme en technique, le plus dur est de faire simple, les plus grands ingénieurs vous le diront. »
Imprégné d'un style conjuguant descriptifs précis et sens de la narration limpide comme de l'eau de roche, Bruno Gillet signe avec Dans les coulisses de la course moto une anthologie en 100 chapitres qui enchantera les aficionados de la grande histoire, officielle, et de celle, par le petit bout de la lorgnette, qui pimente un récit généralement réservé aux initiés. Désormais, les belles anecdotes circulent en roue libre pour le bénéfice des amoureux de la course moto.
Bruno Gillet, érudit s'il en est, fort de son réseau d'amis, de leurs confidences et leurs révélations, nous conte, avec moult détails, les sautes d'humeur, les gueules de bois, les tricheries, la grandeur des hommes, leur bravoure et leurs faiblesses… sans oublier les faits de course et la technique qui se révèle. Un vrai bonheur. Et, bonne nouvelle, le tome II est en cours d'écriture. Réjouissant !
La course moto, c'est une vie en raccourcis avec des abscisses et des ordonnées bien plus intenses que la normale.
Bruno Gillet

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