Cartier Santos-Dumont : Amitié de haut vol

Une chevelure d'un noir profond soigneusement lissée et séparée par une raie bien nette, le regard impassible, la moustache fournie, un costume impeccable, un chapeau aux larges bords souples, parfois une casquette… l'image d'Alberto Santos-Dumont est bien connue des Parisiens en ce début de XXe siècle. Il faut dire que ce pionnier de l'aviation, Brésilien d'origine et Parisien d'adoption, n'a de cesse de survoler la capitale à bord de tous les engins volants que sa curiosité, son esprit d'innovation et, disons-le, une certaine témérité, l'incitent à mettre au point. Touche-à-tout, et devançant les progrès - rapides - de l'aviation, ce gentleman volant d'une élégance impeccable expérimenta tout à tour des dirigeables à moteur dans le ciel parisien en 1898, avant de se lancer dans les “plus lourds que l'air” et dans la conception de divers engins volants, planeurs, biplans et autre hélicoptère. Mais c'est en 1904 que son amitié avec Louis Cartier va les faire rentrer, ensemble, dans l'histoire horlogère. L'aventurier des airs remporte cette année-là le prix Deutsch, une course en ballon aller-retour du Parc de Saint-Cloud à la tour Eiffel (en moins de 30 minutes !), créé par l'industriel Henry Deutsch de la Meurthe, fondateur de l'Aéro-Club et fervent promoteur du développement de l'aviation. Le nez en l'air, les Parisiens ont pu assister aux expériences de cet homme qui se trouva parfois échoué au sommet d'un marronnier, dans le ciel de la Ville Lumière, effervescente capitale de l'élégance, des technologies, de la culture et du luxe au tournant du siècle.

120 ans après sa création par Louis Cartier pour son ami l'aviateur Alberto Santos-Dumont, la Santos est toujours une icône.

Inventeur iconoclaste, esprit à la fois novateur et précis, Alberto Santos-Dumont déplorait que les progrès de l'horlogerie ne suivent pas ceux de l'aéronautique. Homme du XXe siècle avant l'heure, il n'acceptait pas de devoir dégainer une montre de poche d'un autre siècle pour chronométrer ses performances en plein vol. C'est en réponse à cette demande que son ami Louis Cartier, petit-fils du fondateur de la maison de joaillerie, conçoit une montre-bracelet fabriquée pour lui avec la complicité de l'horloger Edmond Jaeger.

En 1906, l'aviateur réussit le premier des vols homologués de l'histoire de l'aviation à bord du “14 bis”, un avion monoplan et monomoteur de sa conception. Au poignet, il portait une autre nouveauté révolutionnaire devenue mythique : la montre-bracelet Santos. C'est le début d'une légende et celui de l'aventure horlogère de la maison Cartier. Ce modèle unique deviendra vite un objet de désir et sera commercialisé à partir de 1911.

Novateur lui aussi, passionné d'art, Louis Cartier est né en 1875. Il a deux ans de moins que son ami Alberto Santos-Dumont. Tous deux sont des hommes de leur temps, passionnés par l'accélération des sciences et des technologies. Au tournant du siècle, ils ont vingt-cinq ans, l'âge de tous les possibles. Pionnier, Louis Cartier fait sertir les pierres précieuses dans le platine, c'est une nouveauté. Plus dense mais aussi plus solide que l'or, ce métal rare et précieux permet de créer des bijoux aériens, plus légers. .. Couvertes de bagues, de colliers, de diadèmes, les femmes en vue raffolent des créations de style moderne de Louis Cartier à Paris comme à Saint-Pétersbourg, à Londres, à New York ou à la cour de Siam. La maison parisienne prend une envergure mondiale et fait rayonner une vision du luxe et du design très française.

Parlant de la Santos de Cartier, c'est bien de design - au sens où la forme définit la fonction - qu'il faut parler. Fonctionnelle, la Santos est une montre-bracelet d'une grande lisibilité et les récentes améliorations apportées au système de fixation de son bracelet lors de la refonte de la collection en 2018 témoignent d'une recherche constante en ce domaine. Mais n'oublions pas que Santos-Dumont était également un dandy et un homme audacieux. Cette montre lui ressemble. Sa boîte, carrée aux angles arrondis, se démarque des montres rondes de l'époque (héritée des montres savonnettes faciles à glisser dans la poche d'un gilet) et préfigure les montres de formes qui feront plus tard la renommée de la maison Cartier. Autre coup de génie, la lunette saillante et les formes arrondies préfigurent les contours du fuselage d'un avion. Dans le même esprit, les 8 vis qui ornent la large lunette de la Santos apportent une touche industrielle à l'ensemble, faisant ressortir l'extrême raffinement de cette montre qui demeure, ne l'oublions pas, la création d'une des plus belles maisons de joaillerie au monde. Véritable icône horlogère, la Santos a connu des évolutions en 120 années d'existence. Proposée en or et en acier en 1978, la Santos adopte des formes plus généreuses et galbées en 1987. Présentée en 2004, la Santos 100 est une pièce collector, qui commémore le centième anniversaire du modèle. En 2018, les studios de Créations Cartier retravaillent la lunette et la liaison entre la boîte et le bracelet. Les systèmes QuickSwitch et SmartLink développés par la Manufacture Cartier de La Chaux-de-Fond permettent de changer de bracelet sans outil, une fonctionnalité nouvelle. En 2024, la Santos nous a réservé encore de belles surprises avec trois éditions limitées (en platine, en or jaune et en or rose) aux cadrans revêtus de laque de couleur qui ont troqué pour l'occasion leurs chiffres romains et leurs aiguilles glaive contre des chiffres arabes et des aiguilles bâton. Et, comble de l'audace, la Santos-Dumont Rewind, toujours en platine et en édition limitée, nous promet tout simplement de remonter le temps… avec des aiguilles qui tournent à l'envers. Bienvenue en 1904 !