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Jean-Pierre Jarier : Fais comme l’oiseau

Modifié le Écrit par La Rédaction
Jean-Pierre Jarier : Fais comme l’oiseau
© DPPI, Philippe Leblond, archives et DR
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C'était un bateau très rapide mais dangereux... je dirais même très dangereux ! Les souvenirs de celui que le monde de la course automobile a aussi connu sous le sobriquet évocateur de “Godasse de plomb” remontent à la surface lorsqu'il s'agit d'évoquer son passage aux commandes de l'offshore Leader/Midial/Elf. On parle ici de l'ex-Colibri, à bord duquel Didier Pironi et ses équipiers Jean-Claude Guénard et Bernard Giroux ont trouvé la mort en croisant la vague traîtresse d'un pétrolier au large de l'île de Wight, au sud de l'Angleterre. C'était le 23 août 1987 (BH #01). Trois mois plus tard, Jarier, pilote multicarte par excellence, prenait le volant de ce même bateau pour participer au Championnat du monde à Key West, en Floride. Incontestablement, le Colibri était un bateau difficile à maîtriser. De l'avis même de nombreux équipages italiens qui, lors des Grands Prix du Championnat d'Europe 1987, avaient constaté le roulis quasi permanent qui animait la carène de cet offshore au rapport poids/ puissance très aiguisé, lorsqu'il était lancé à pleine vitesse et que la quasi-totalité de sa poupe n'était plus en contact avec la mer. Mais au fait, comment Jean-Pierre Jarier a-t-il pu se retrouver au volant de cette fusée en carbone, mue par deux V12 Lamborghini d'une puissance cumulée de 1 560 chevaux et dont la jeune existence était déjà marquée par une tragédie ? « Ce sont José Dolhem et les employés du chantier Leader, ainsi que les sponsors, qui m'ont demandé de prendre le volant de ce bateau », se souvient Jarier.

« L'expérience du Dakar m'a servi en terme de pilotage. »

José Dolhem, demi-frère de Pironi, ex-pilote de Formule 1 lui aussi, trouvera la mort aux commandes de son hélico après la disparition de Didier. Il est vrai que ce bateau avait été engagé pour une saison complète comprenant le Championnat d'Europe et le Championnat du monde, ce dernier se déroulant en novembre de la même année à Key West, soit trois mois après l'accident. « Je devais courir. Pour eux je me devais de le faire ! J' étais proche de la famille de Didier. » Jean-Pierre avait aussi côtoyé Didier Pironi dans l'écurie Tyrrell de Formule 1 durant la saison 1979. « Je ne connaissais pas le bateau et je n'avais aucune expérience de la course offshore. Et je voulais la gagner cette course, mais je ne voulais pas mourir. Cela dit, après quelques journées d'essais, je commençais à avoir une assez bonne maîtrise du bateau. Je parvenais enfin à faire des réceptions de sauts en le reposant dans l'axe de la vague, sachant qu'en travers il y avait le risque de se retourner. » Pour ce Championnat du monde de Classe 1, la catégorie reine de la course offshore, Jean-Pierre Jarier dans le rôle du “driver” (volant) pouvait compter sur deux équipiers qui avaient secondé Pironi dès ses débuts dans la discipline : Raymond Borie, alias “l'Indien”, au poste de “throttleman” (accélérateurs, correcteurs d'assiette, contrôle des moteurs) et Pierre Harnois (dit “Pôm”) en qualité de “navigateur” (ordre de passage des bouées du circuit, optimisation des caps). Pour autant, le reconditionnement de l'ex-Colibri et la qualité de l'équipage n'auront pas suffi. Le bateau n'a pu terminer aucune des trois courses. « Malheureusement, nous sommes tombés en panne à chacune des manches du championnat, regrette Jarier. C'est d'autant plus frustrant que nous avions pris la tête à chaque départ.

Jean-Pierre Jarier Photos
© DPPI, Philippe Leblond, archives et DR

« Je n'avais pas d'expérience de l'offshore, or le Colibri était très pointu. »

En fait, nous avions un problème d'infiltration d'eau de mer dans le compartiment moteurs, sur les boîtiers d'allumage et dans les échappements de nos magnifiques V12. C'est dommage car ce bateau était apte à gagner des courses. Ces avaries électriques nous ont coûté cher. Notre offshore prenait 10 0 nœuds sur cette mer quand même un peu agitée. Sur un plan d'eau calme à Saint-Tropez, et avec des hélices à pas plus long, j'avais même pris 110 nœuds (204 km/h). Il n'y avait plus que les hélices dans l'eau ! » L'année suivant le Championnat du monde, en 1988, nous avions accueilli Jean-Pierre à sa sortie du cockpit dans le port de Saint-Tropez, à l'issue du dernier Grand Prix auquel l'ex-pilote de F1 participait. Sa comparaison entre l'offshore et le Rallye-Raid nous avait interpelés : « Ça me fait penser au pilotage dans le Dakar mais avec des dunes qui bougent ! » Ce qu'il confirme, amusé, en 2024 : « Et de ce point de vue, avoir piloté au Dakar m'a servi pour piloter cet offshore. J' étais au volant d'un proto Mercedes 30 0 GE de 5,4 litres. Avec ce moteur puissant, les vitesses dans le désert étaient sensiblement les mêmes qu'à bord de l'offshore. » Alors, dangereux l'offshore ? À un journaliste italien qui lui demandait s'il serait partant pour piloter l'un des Classe 1 engagés au Grand Prix de Saint-Tropez 1988, Keke Rosberg (champion du monde de F1 1982), présent sur cette course en qualité de VIP, avait répondu avec franchise : « Oh non, trop dangereux pour moi ! » Reconnaissons à Jean-Pierre Jarier le cran de s'être substitué à Didier Pironi, sans expérience préalable, aux commandes de ce bateau très pointu, devenu tristement célèbre mais néanmoins légendaire. En guise de conclusion, “Godasse de plomb” nous prend une nouvelle fois à contre-pied : « J'adore tout ce qui est motorisé, mais sachez que depuis l'âge de quatorze ans, j'ai toujours possédé des voiliers, dont un Swan 51 pieds avec lequel j'ai adoré naviguer ! » Comme quoi, la fameuse “Godasse de plomb” n'est pas nécessairement de sortie. Keke Rosberg n'était pas très chaud à l'idée de piloter un offshore.

JEAN-PIERRE JARIER : Les dates à retenir

Naissance le 10 juillet 1946 à Charenton-le-Pont (94).

Études en sciences-éco.

1967 : débute en course automobile (Coupe Gordini).

1971 : premier Grand Prix en Formule 1.

1973 : champion d'Europe de Formule 2.

De 1971 à 1983 : 134 Grands Prix en F1.

De 1972 à 1999 : 14 participations aux 24 Heures du Mans.

1987 : Championnat du monde Offshore Classe 1.

1988 : Grand Prix Offshore Classe 1 de Saint-Tropez (Championnat d'Europe). Après un long intermède monégasque, Jean-Pierre Jarier vit aujourd'hui à Cogolin (Var).

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