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Les Voiles de Saint-Tropez : Manitou, l’ombre de JFK

Publié le Écrit par La Rédaction
Les Voiles de Saint-Tropez : Manitou, l’ombre de JFK
© Marc de Delley, Gilles Martin-Raget/SNST, Thomas Campion/Rolex & Alamy
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Si l'histoire de ce yawl (bateau à deux mâts dont l'espars arrière se situe en retrait de l'axe de la mèche de safran) est intimement liée à celle du 35e président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy, Manitou a connu bien des vies. À l'origine, ce voilier de 18,90 mètres de longueur hors tout et de 13,40 mètres à la flottaison a été construit pour offrir à son propriétaire un voilier ultra-performant. Dessiné par le célèbre architecte naval, Olin Stephens, du cabinet Sparkman & Stephans, grand pourvoyeur de voiliers de course, Manitou a été fabriqué en 1937 à Solomons dans le Maryland par le chantier Davies & Sons. Inspiré par deux autres magnifiques voiliers, Stormy Weather et Dorade, le premier propriétaire de Manitou souhaitait un bateau capable d'évoluer rapidement dans du petit temps et dans la brise. Dès ses premiers bords, les performances de Manitou impressionnent. James Lowe, son propriétaire, commence à remporter de belles victoires, notamment la Chicago Yacht Club Race to Mackinac en 1937, battant différents records. Cette course de 289 milles de long entre Chicago sur le lac Michigan et Mackinac sur le lac Huron est la plus ancienne et la plus longue course en eau douce du monde. Sa première édition remonte à 1898. Plusieurs grandes victoires plus tard, Manitou va radicalement changer de vie après l'entrée en guerre des États-Unis en 1941. Bien loin de son utilisation première de voilier de course, Manitou est engagé dans l'effort de guerre comme patrouilleur le long d'une partie de la côte nord-est américaine. En 1955, James Lowe le donne aux Coast Guards, il grossit ainsi la flotte de cette célèbre institution. Il servira de bateau d'entraînement pour les recrues.

“Esprit de l'eau”, la divinité de toutes les divinités, est la signification du nom de Manitou en indien algonquin.

Le 20 janvier 1961, John Fitzgerald Kennedy prend ses fonctions de 35e président des États-Unis d'Amérique. Peu de temps après son installation à la Maison Blanche, JFK décide de changer le yacht présidentiel, alors un motoryacht de 28 mètres, qu'il avait rebaptisé Honey Fitz en l'honneur de son grand-père. Passionné de bateau à voile, Kennedy, alors sénateur, se souvenait d'avoir croisé lors d'une navigation vers Annapolis ce beau yawl. Propriété du Gouvernement, Manitou se trouvait donc dans la liste des voiliers à disposition. Rapidement, JFK en fait le bateau présidentiel. Cependant et en pleine guerre froide, Manitou se devait d'être un bateau moderne, capable de fournir à son président de barreur les outils nécessaires afin de rester en contact avec la Maison Blanche et le monde entier. De cette technologie embarquée et cette prolongation du bureau ovale, Manitou s'est vu donner le surnom de “The Floating White House”. Ce voilier rapide, élégant et confortable a accueilli bon nombre de réunions, de sorties en famille et a surtout été une échappatoire pour un président très occupé. Manitou était bel et bien la bulle d'oxygène de JFK. Si sa silhouette ne laisse pas indifférent, son intérieur dépasse et de loin les aménagements typiques de ces bateaux. Les volumes intérieurs sont larges et accueillants et, comble du luxe pour l'époque, une cheminée et une baignoire ont été installées pour le confort des invités. Cette dernière est dissimulée sous le plancher de la cabine arrière, celle du propriétaire, et la légende voudrait que Marilyn Monroe, alors maîtresse de JFK, s'y soit baignée. Un emplacement particulier prend également place dans la cabine arrière.

Véritable bateau de régate, Manitou arbore une garde-robe de 167 m2 au près et de 300 m2 au portant.

Le long du mur, un coffret accueille un pistolet de détresse avec lequel JFK pouvait envoyer des signaux de différentes couleurs pour prévenir l'escouade qui le suivait dans les moindres sorties de Manitou. Malheureusement, le président américain n'aura pas pu profiter aussi longtemps que prévu de ce bateau. En 1963 l'assassinat de Kennedy va renvoyer Manitou dans l'ombre pour de longues années. Après avoir été vendu en 1968 aux enchères à une école de voile, la Harry Lundeberg de Paul Hall, Aristote Onassis, un milliardaire que rien n'arrêtait pour l'amour d'une femme, allait tenter de se porter acquéreur de Manitou. Un cadeau qu'il souhaitait faire à sa femme, Jacqueline Bouvier Kennedy, qui n'était autre que la veuve de JFK. À deux reprises, les tentatives de rachat ont échoué. Paul Hall souhaitait fermement que Manitou serve de bateau école pour les enfants défavorisés. Encore maintenant, les images des Kennedy à bord font figure d'une époque où la liberté était de mise et Manitou était le parfait exemple de cette insouciance américaine.

Fin des années 90, après de nombreuses années à naviguer, Laura Kilbourne, l'arrière-petite-fille de James Lowe, le rachète et se lance dans une restauration méticuleuse afin de redonner vie à ce bateau marqué par les années et les histoires. Ces travaux, menés dans le chantier Chesapeake Marine Railway à Deltaville en Virginie, ont été réalisés à quelques encablures de l'endroit où Manitou a été conçu. Un beau retour aux sources pour ce yawl bermudien. Peu d'informations sur le bateau filtrent à cette époque mais toujours est-il qu'il nécessitait encore de nombreuses rénovations afin de le voir naviguer de nouveau. L'arrivée de triplés dans la vie de Laura Kilbourne l'oblige à vendre Manitou. Après un an et demi de négociations, trois amis s'en portent acquéreurs et bien que le bateau soit en bon état il aura fallu un an de travaux supplémentaires pour lui redonner son faste d'antan : système électrique, système d'eau, voiles, mâts. .. Mais ce rachat par des Européens passe difficilement dans l'esprit des Américains. Selon certains spécialistes, Manitou doit impérativement rester aux États-Unis. Il fait partie intégrante de l'histoire du pays. Malheureusement pour eux Manitou arrive en Méditerranée et est devenu depuis 2011 un fidèle des grandes régates de voiliers classiques. En 2016, le Britannique Hamish Easton réussit à racheter les parts des trois anciens propriétaires et continue de faire perdurer la légende de Manitou. Lors des Voiles de Saint-Tropez 2023, le Trophée Rolex a mis en avant la catégorie des yawls. Havre de paix pour la famille Kennedy et ses amis, Manitou naviguait toujours sous escorte militaire. Manitou, entouré de onze autres participants, a pu régater dans une unique catégorie pour le plus grand plaisir des propriétaires. « C'était un véritable bonheur de naviguer tous ensemble. En général nous sommes au milieu d'une flotte de trente à quarante bateaux. Là nous avons pu profiter pleinement de ce moment. Manitou est un formidable bateau avec lequel j'adore naviguer entre amis et en famille. Nous avons lors de cette saison 2023 beaucoup navigué. Nous avons quitté Cannes fin avril et avons visité Venise, Trieste, la Slovénie pour une régate, la Croatie, les différentes îles de l'Adriatique, puis l'Italie, Naples, les Baléares puis la côte française pour ce final à Saint-Trop' », nous confiait Hamish Easton l'automne dernier. L'histoire de Manitou est bien loin de s'achever pour le plus grand bonheur de son propriétaire et de son “boat captain”, Loïc Melliand.

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