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Montre étanche : révélations

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Montre étanche : révélations
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Une brève inattention de Google. C'est tout ce qu'il aura fallu pour lever un coin de voile sur une histoire horlogère presque inédite - voire interdite. C'est là, tout en fin de page de recherche, qu'apparaît fin 2021 un étrange lien : « Première montre étanche : une vérité qui dérange ». L'invention de la première montre étanche n'est-elle pas largement documentée ? Le sujet ne fait effectivement pas débat. Stan Czubernat ne le remet pas en cause. Ce qu'il questionne, c'est ce qui s'est passé. .. avant.

Passion des tranchées

L'homme est horloger à Spring, au Texas. Sa passion : les montres de tranchées, celles utilisées durant la Première Guerre mondiale. Autant dire que le créneau est étroit : entre 1914 et 1918, la montre de poignet est balbutiante, et ses capacités techniques sont loin d'être au point, que ce soit en termes de résistance ou de précision. Mais il se trouve que les constructeurs des rares montres de cette époque sont en large partie américains. On les nomme Waltham, Elgin Hampden, Illinois & Hamilton. Stan Czubernat en a restauré plus de 2 000. Comment aurait-il pu passer à côté de la mention “Waterproof” qui en orne certains boîtiers ? C'est le point de départ d'une immense quête qui s'étire sur 15 ans. Car l'homme, bien loin d'un simple commentateur, a voulu dater et surtout documenter l'invention de la montre étanche, qu'il pressent comme étant bien antérieure à 1926. Et l'histoire lui a donné raison, avec un nom : Charles Depollier.

Sept ans d'avance

La première piste qui s'ouvre à l'horloger est celle d'une publicité du 13 octobre 1919. On y voit un pilote, Roland Rohlfs, évoquer un record du monde d'altitude atteint avec son avion, à 34'610 ft, et portant à son poignet une Waltham Depollier “Field & Marine” Waterproof Watch.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là : un autre officier, R.W. Shroeder, bat à son tour le record (36'130 ft) l'année suivante… avec la même montre au poignet ! Aucune coïncidence possible. Son récit sera à nouveau l'objet d'une publicité, parue en avril 1920 dans le magazine The Keystone, dont Stan Czubernat retrouve une copie. D'où viennent ces pièces ? Il continue de tirer le fil de l'histoire, et retrouve la trace d'une commande de 1918 de l'armée américaine, portant sur 10 000 boîtes étanches auprès de l'entreprise Dubois Watch Case, sise à Brooklyn, New York, et fondée en 1877. L'achat est parfaitement documenté et porte le numéro de contrat 160615. Mais commander des boîtes étanches. .. ne prouve pas qu'elles l'étaient. Stan Czubernat s'enquiert donc d'éventuels tests d'étanchéité qui viendraient corroborer l'affirmation de réelles montres “waterproof”. Bingo : l'homme met la main sur deux rapports de tests concluants datés d'un peu plus tard (juin 1919). L'un est signé du major-général George Squier (chef des transmissions de l'armée américaine) au secrétaire américain à la guerre, Newton Baker, rendant compte directement au président Woodrow Wilson. Le ministère de la Guerre n'est autre que l'actuel ministère de la Défense. Le second, signé Benedict Crowell, confirme spécifiquement l'existence d'un système de verrou d'étanchéité développé par Depollier et la U.S.

Army Engineering & Research Division en 1918, preuve de l'étroite collaboration entre l'armée et le fabricant de boîtes.

Un procès salvateur

Par la suite, ses investigations offriront à Stan Czubernat quantité d'autres informations, puisque l'homme qui a conçu ces montres étanches, Charles Depollier, s'est retrouvé cité dans un procès en paternité de brevet face à l'un de ses anciens collaborateurs. Stan Czubernat a pu mettre la main sur la retranscription intégrale des minutes de l'audience qui détaille, de la bouche même de l'inventeur, tout le processus de fabrication et d'optimisation des boîtes étanches. Ces minutes ne sont pas que textuelles : elles comportent force dépôts de dessins, plans techniques précisément datés, voire certains brevets qui ne laissent aucune zone d'ombre possible quant à l'invention de la montre étanche. On y apprend notamment que Depollier avait imaginé, bien avant 1926, la première couronne vissée. Elle est aujourd'hui un standard sur la totalité des montres de plongée. Des trésors historiques jusque-là tous enfouis aux United States National Archives et que Stan Czubernat a patiemment déterrés, un par un.

Du “Waterproof” au “water resistant”

De telles fouilles ont aussi mis au jour une anecdote amusante. En 1918, Waltham commercialise alors une pièce, la Waltham Depollier, dont Stan Czubernat a depuis restauré plusieurs exemplaires, poinçonné d'un sceau “Depollier Waterproof Watch, Trademark” au centre duquel l'on voit clairement un bocal, deux poissons rouges et une montre en immersion entre les deux. Autre anecdote intéressante : toutes ces pièces sont estampillées “waterproof” et non “water resistant”, comme l'on peut le lire aujourd'hui, car le terme n'a été imposé qu'au mitan du XXe siècle par la FTC, Federal Trade Commission.

« Reprendre un par un tous les catalogues de montres américaines disponibles pendant la Première Guerre mondiale fut un défi insensé, explique Stan Czubernat.

Certaines pistes étaient plutôt faciles à suivre et ont pu être confirmées assez rapidement. Mais d'autres s'avéraient être des culs-de-sac dans lesquels je me suis parfois perdu pendant plusieurs années. Au fil des 15 ans dédiés sur le sujet, la numérisation des archives a fini par me rendre bien des services, surtout lorsque j'ai pu l'associer à des moteurs dotés d'intelligence artificielle. Mais à l'inverse, cela a aussi généré une quantité de sources disponibles extrêmement vaste. Je sais qu'il me manque encore quelques références que je n'ai pas pu précisément dater, mais la Waltham Depollier “waterproof” est aujourd'hui parfaitement documentée et datée de 1919, sans la moindre ambiguïté. »

Graal horloger

Trouver les archives était une chose, mais trouver la montre en tant qu'objet en était une autre. Stan Czubernat en a depuis eu plusieurs exemplaires entre les mains, dans un état de conservation exceptionnel. Depuis, l'horloger est identifié comme le plus grand spécialiste de ces “Trench Watches”, ces montres de tranchées. Plusieurs collectionneurs lui ont apporté leurs propres Waltham Depollier, corroborant toujours plus ses recherches documentaires. Jusqu'à ce jour de janvier 2021 où un amateur lui poste des photos d'une Depollier atypique, avec boîtier en argent et non en nickel comme c'était généralement le cas. « Franchement, j'ai cru que j'allais devenir fou ! , sourit Stan Czubernat. Je croyais avoir à peu près fait le tour du sujet et, parmi les milliers de documents que j'avais retrouvés, il n'y en avait pas un seul mentionnant cette différence de boîtier qui, de surcroît, arborait une couronne assez différente de celle que l'on voyait à l'époque. » Stan Czubernat reçut physiquement la pièce à son atelier quelques jours plus tard. Sans le savoir, il venait de se voir livrer une variation de prestige estampillée “Thermo”, avec boîtier argent et or 14 carats.

« Je ne l'avais jamais vue. Sur aucun catalogue, aucune photo, aucun magazine, aucune publicité, nulle part sur Internet, jusqu'à ce jour. C'est à ma connaissance la seule Thermo au monde dans cette finition. Je pense qu'il y a eu quelques évolutions de style et de couronne pour une très courte période en 1918 mais aucune montre de ce type ne nous était parvenue jusqu'à aujourd'hui. » Depollier aurait-il aussi inventé la montre étanche… de luxe ?

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