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Vacheron Constantin : vibrant passé

Modifié le Écrit par La Rédaction
Vacheron Constantin : vibrant passé
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C'est à Plan-les-Ouates, en périphérie de Genève, que tout se passe. Un immeuble ancien ? Du bois, du marbre ? Tout faux. Le bâtiment de la manufacture Vacheron Constantin, dessiné par l'architecte franco-suisse Bernard Tschumi à l'orée du XXIe siècle, est une merveille de modernité, probablement l'un des gestes architecturaux les plus impressionnants de l'industrie horlogère. Bois, verre, lumière, acier : les volumes offrent au visiteur une impression d'espace infini, comme si le temps pouvait s'y arrêter à jamais. Contre toute attente, c'est dans une petite pièce cachée et sécurisée, loin des regards, que tout se passe. La salle des archives est bien planquée. Et c'est très bien ainsi. Pour une manufacture horlogère, le poids du passé et du patrimoine peut parfois être un fardeau, un frein à l'innovation, une charge. Chez Vacheron Constantin, c'est tout l'inverse. « Chez nous, la notion de patrimoine est plurielle, commence Christian Selmoni, directeur du style et du patrimoine. C'est d'abord la capacité que nous avons de préserver, de nourrir et de valoriser notre histoire depuis ses origines. C'est ensuite notre capacité à transformer cette richesse en une source infinie de créations contemporaines. » Les 267 années d'existence de la manufacture se matérialisent par 420 mètres de linéaires papiers précieusement conservés ici, à l'abri des regards dans un lieu à l'hygrométrie parfaitement régulée.

Il existe deux grandes catégories : les documents commerciaux et épistolaires d'un côté, les registres de production de l'autre

Antérieur à la fondation de la marque, le plus vieux document date de 1711.

« C'est l'équivalent d'un extrait de casier judiciaire vierge du fondateur, Jean-Marc Vacheron, note Sigrid Offenstein, responsable des collections et des archives . Il existe deux grandes catégories : les documents commerciaux et épistolaires d'un côté, les registres de production de l'autre. Toutes nos montres sont référencées dans ces registres depuis 1755. » Et nous voilà en train de consulter ces reliques, soigneusement classées dans des classeurs reliés et de mystérieuses boîtes en carton. Qui aime l'horlogerie ne peut rester insensible à ces vestiges d'un temps ancien qui ponctuent les styles et les époques. Au total, le trésor compile plus de 6 millions de pages dont seulement 1 % a été numérisé. Et notre hôte de mettre la main sur le premier registre de production. Elle porte des gants de protection.

Ces documents sont fragiles.

La toute première montre fabriquée avait coûté 4 francs suisses, il y a fort longtemps.

De Napoléon Bonaparte au pape Pie XI, de Marlon Brando à la reine Elizabeth II, Vacheron Constantin a habillé les poignets des plus grands

« Au fil des registres, nous avons davantage d'infos comme les interventions techniques réalisées sur les montres ou le nom de clients », poursuit Sigrid Offenstein. Le 7 septembre 1773 est une date qui compte. « C'est notre première montre fabriquée réellement datée, la 111e à avoir été conçue depuis la création de la manufacture » nous explique-t-on. Ces premiers registres sont surtout des documents comptables. Dans la majorité des cas, les prix de vente n'apparaissent pas. Il y a aussi des copies de lettres réalisées par des petites mains qui reproduisaient les correspondances. En 1810, sous l'ère de Jacques-Barthélémy Vacheron, le petit-fils de Jean-Marc, la manufacture commence ainsi à conserver les documents avant de s'associer à François Constantin. C'est à cette époque, pendant l'ère napoléonienne, que la marque commence à conquérir le marché français et à s'introduire sur le marché américain, en 1817 précisément, via l'exportation de mouvements par l'entremise d'un armateur normand. De Napoléon Bonaparte au pape Pie XI, de Marlon Brando à la reine Elizabeth II, du roi Fouad Ier d'Égypte au maharaja de Patiala, Vacheron Constantin a habillé les poignets des plus grands. Un mot vient d'ailleurs à l'esprit quand un regard se pose sur une Vacheron Constantin : intemporalité. Classiques dans leurs formes et modernes dans leur esprit, les montres Vacheron Constantin véhiculent un “air du temps”, le leur. « Je suis attaché à un élément central qui est l'intelligence de la main ainsi qu'au concept grec de mètis (une notion en vogue dans la Grèce antique mêlant le savoir-faire de l'artisan, l'habileté du sophiste et la prudence du politique, NDLR) . Rester fidèle au style Vacheron Constantin dans la modernité, tout est là » poursuit Christian Selmoni. C'est pour cette raison que la conservation des archives et leur traitement contemporain est crucial.

Pour appuyer sa démonstration, le directeur du style et du patrimoine, mémoire vivante de la maison, s'empare d'une montre de poche à sonnerie issue de la collection patrimoniale. « Chez Vacheron Constantin, nous fabriquons des montres à sonnerie depuis 18 0 6, détaille Christian Selmoni. Et voici un magnifique exemple de répétitions à quart de 1819 avec un cadran en émail et de sublimes aiguilles en acier bleui de type serpentine. La répétition s'actionne par la bélière sur une simple pression. » Il se tait. La montre sonne, comme elle le faisait il y a plus de deux cents ans. Et la magie opère.

Cette date possède une autre résonance : c'est en effet en 1819 que François Constantin s'associa à Jacques-Barthélemy Vacheron et scella le nom définitif de la marque. Concrètement, si un client apporte demain une montre de ce type à réviser, les équipes de Vacheron Constantin en retrouveront sa trace, la référence de son mécanisme, le lieu où elle a été vendue, si elle a déjà été réparée.

D'ailleurs, un maître-horloger spécialisé est affecté aux archives pour tendre un pont entre hier et demain. Tout est noté dans ces bons vieux registres, ce qui permet entre autres d'établir des extraits d'archives aux clients désireux de connaître l'année de production de leur montre. La manufacture propose aussi des certificats d'authenticité - après démontage et remontage total de la montre. Un travail d'une importance capitale pour garder un œil attentif sur le marché - de plus en plus spéculatif - de l'horlogerie vintage qui explose mais manque parfois de régulation. Comme dans le milieu de l'automobile de collection, les horlogers peuvent vérifier si les numéros de boîte et de mouvement qui passent entre leurs mains correspondent, s'ils sont en présence ou non d'une montre affichant des “matching numbers”. Mais, évidemment, ce n'est pas toujours simple. « Nous avons des registres de boîtes et de mouvements, précise Sigrid Offenstein . Jusqu'à la fin du XIXe siècle, certaines nations ont commencé à mettre en place des mesures de protectionnisme douanier, notamment les États-Unis qui surtaxaient les produits finis. » Pour tenter d'y échapper, comme dans d'autres secteurs économiques, les horlogers suisses - dont Vacheron Constantin -exportaient leurs mouvements nus outre-Atlantique où ils étaient emboîtés sur place. Conséquence : dans ces cas, les numéros de boîtes et de mouvement diffèrent. Seuls les registres officiels permettent de savoir si une montre de cette époque est une authentique Vacheron Constantin. Et de prendre un exemple au hasard dans le registre : la référence 258529.

Chez Vacheron Constantin, nous archivons aussi des enseignes, des objets divers et des œuvres d'art

On retrouve le nom du client. C'est une montre-bracelet d'un diamètre de 9 lignes et de forme tonneau. Son fond est facetté, cintré et son boîtier en or blanc 18 carats doté d'anses entourantes. Elle date de 1936.

Sur un autre registre, il est possible de savoir qu'elle a été fabriquée en 1932 et vendue en 1936. Plus qu'un jeu de piste, une vraie chasse au trésor ! Ce n'est pas tout : les archives d'une manufacture horlogère ne renferment pas seulement des registres techniques. « Nous conservons également 800 machines-outils, principalement du tout début du XIXe siècle, qui nous permettent - quand c'est nécessaire pour une restauration - de reproduire des composants selon les normes de l'époque, explique-t-on encore chez Vacheron Constantin.

Nous archivons aussi des enseignes, des objets divers et des œuvres d'art. » Et des photos.

Cas d'école, la manufacture Vacheron Constantin s'est intéressée très tôt à la photo. La première date de 1860 ! On y voit un horloger à son établi dans la Tour de l'Île à Genève. « Prendre des artisans en photo, c' était révolutionnaire à l' époque » note-t-on. Pas faux. Dans un autre classeur, une image en noir et blanc d'une employée de bureau tapant à la machine à écrire : « Mlle Lucie Courvoisier, entrée le 15 juillet 1912 ».

Sur la même page, un cliché de onze messieurs tirés à quatre épingles dans un boulodrome en train de jouer à la pétanque. « À L 'Arquebuse, section de boules de la Gym des Hommes, 19 25 » dit la légende. Il est aussi précisé qu'au second plan, avec un chapeau de paille, se trouve « le père Zumbach, arrondisseur de roues chez Vacheron Constantin » et non loin de lui un certain Aeschlimann, « éditeur de l'Almanach du Vieux Genève ». Une promenade dans les archives est toujours un voyage, un voyage dans le temps.

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