Alain Genoud : le sang vert

Si le Bol d'Or a fêté ses 100 ans l'an dernier, l'année 2024 sera celle du 50e anniversaire de la première de leurs victoires à cette course mythique et de la création de la société Godier-Genoud le 1er janvier 1974. L'histoire d'Alain Genoud est indissociable de celle de Georges Godier. Ils se rencontrèrent au Norton Club de Genève, leur amitié se construisant sur leur passion du pilotage ; courses de côte, circuits, ils écumaient les courses locales et nationales. Alain se lança dans l'Endurance en équipe avec Maurice Maingret, puis continua avec Georges, avec à la clef un premier titre de champions d'Europe en 1972, l'équivalent actuel du Championnat du monde EWC, sur une Honda à cadre Egli. L'association du Français et du Suisse fera entrer les courses d'endurance dans la modernité. En gagnant les Bol d'Or 1974 et 1975, raflant au passage deux autres titres de champions d'Europe, le duo contribuera à construire l'immense popularité de l'Endurance en France.

C'est surtout pour l'excellence de leur préparation de motos hyper sportives que les complices construiront la réputation de la marque

Georges et Alain furent bien plus que de talentueux pilotes ; ils mirent en place de nouvelles méthodes pour gagner du temps lors des arrêts aux stands. En 1974, ils se focalisèrent sur leur nouveau métier de pilote. Avec le soutien officiel de Kawasaki France, ils construisirent une Kawasaki-Egli et gagnèrent le titre et le Bol d'Or !

Personne n'aime tomber (sauf peut-être Marc Marquez ?) mais une chute peut, certes rarement, avoir des conséquences positives, en l'occurrence gigantesques ; alors qu'il se rendait à une concentration à Val d'Isère, Georges Godier se bourra. Pierre Doncque, l'homme qui vint l'aider à sortir du fossé, était professeur de mécanique à l'IUT d'Amiens et avait quelques idées innovantes sur la technologie motocycliste. Ils sympathisèrent, échangèrent leurs visions et le trio se lança dans le développement d'une nouvelle moto pour la saison 1975. Elle allait s'avérer révolutionnaire et marquer la technologie des motos modernes ! Construite dans un atelier à Annecy et basée sur un moteur Kawasaki, cette machine fut la première moto de l'ère moderne à suspension arrière à mono-amortisseur et biellettes.

Aujourd'hui, ce type d'amortissement est la norme pour la majorité des machines, mais à l'époque, les doubles amortisseurs équipaient la totalité des motos, même sportives. Le team n'a pas posé de brevet ; dommage… Son châssis périmétrique en acier (encore une première !) et l'ensemble selle-réservoir monocoque permettaient une accessibilité remarquable au moteur en cas d'intervention mécanique. Cerise sur le gâteau, la moto était belle et élégante.

Retirés de la course fin 1975, Alain et Georges continueront de construire les Kawasaki officielles en Championnat d'Europe d'endurance et dirigeront le Team Kawasaki Performance avec Serge Rosset, l'homme de marketing qui manageait déjà le Team Godier-Genoud depuis plusieurs années et qui fera ensuite une belle carrière de team manager en GP 500. Georges et Alain ouvriront une concession Kawasaki réputée à Saint-Julien-en-Genevois. Mais c'est surtout pour l'excellence de leur préparation de motos hyper sportives sur base Kawasaki que les complices construiront la réputation de la marque. Dans les années 80, Godier-Genoud symbolisait l'innovation et la performance ultime et l'entreprise deviendra officiellement Constructeur de motos. Aujourd'hui, les machines dotées d'une carte grise Godier-Genoud sont particulièrement recherchées par les collectionneurs.

Les machines dotées d'une carte grise Godier-Genoud sont particulièrement recherchées par les collectionneurs

L’histoireaurait pu s'arrêter en 1993 avec le décès accidentel de Georges devant la concession, alors qu'il essaye la moto d'un client. Dévasté, Alain entame une traversée du désert et la concession n'y survit pas. Puis, alors que démarre la vague du Classic, Alain crée Godier-Genoud Recherche & Développement, se focalisant sur la rénovation, la fabrication et l'optimisation des motos de la marque ainsi que des Kawasaki des seventies et eighties. Il participe également à de nombreuses courses en catégorie Pro-Classic. Il en gagne beaucoup ! Comme il est extrêmement pointilleux, les motos qui passent dans ses mains marchent fort et sont dotées d'un niveau de finition hallucinant. Parmi ses réalisations récentes, Alain a construit un superbe Racer sur base Kawasaki Z des seventies. L'homme sait fabriquer des moteurs puissants et fiables ; il sait aussi comment faire tenir une moto sur la piste avec un comportement moderne.

Plus qu'une simple rénovation, cette pure préparation racing a bénéficié de toute son expérience et ce racer est probablement la “type Z” la plus performante du monde ! Forts de leur complicité et de leur complémentarité, Alain et Georges furent pionniers et visionnaires. Alain décrit Georges comme un vrai gentil avec beaucoup de cœur, mais d'un premier abord un peu rude et rigide. Alain se définit comme plus souple, tout en précisant que c'est Georges qui mettait du gros gaz. Pourtant, Alain n'était pas du genre à acheter du terrain quand il était en piste.

Il avait montré au milieu des Grands Prix qu'il aurait eu sa place parmi les pilotes les plus rapides du monde en courses de vitesse. En témoigne sa participation à une manche du Trophée FIM 750 à Barcelone, qu'il finira 5e en bagarre avec Jacques Findlay, derrière Barry Sheene et devant une flopée de grands pilotes de GP. À bientôt 75 ans, Alain a toujours les passions du pilotage et de la préparation chevillées au corps. Il a encore un coup de guidon exceptionnel. Il a par exemple gagné le Bol d'Or Classic 2005 et ceux qui l'ont vu rouler récemment notamment avec son Racer Z lors des Sunday Ride Classic peuvent en témoigner. Il n'y a pas si longtemps, une Godier-Genoud affûtée était l'arme pour gagner les courses d'endurance classique. À l'occasion des 100 ans du Bol d'Or, une seule GG était au départ (et à l'arrivée) du Bol d'Or Classic, la N° 100 du Team SuperBolide.

Alain avait montré au milieu des Grands Prix qu'il aurait eu sa place parmi les pilotes les plus rapides du monde en courses de vitesse

Espérons qu'Alain se choisira un successeur digne de son engagement pour lui transmettre son savoir-faire, afin que la légende des Godier-Genoud rayonne de nouveau, et que des pilotes continuent de s'engager en course avec les belles dames de Haute-Savoie.