Anne-Sophie Pic : L’heure qui tombe à pic
D'Anne-Sophie Pic, on vous dira l'irrésistible ascension d'une femme singulière, revenue dans le giron culinaire familial après un brillant passage en école de commerce. On vous dira, au détour des années '90, cette discrète autodidacte, silhouette frêle de danseuse classique mais tempérament d'airain, qui mettra, en quelques saisons, en évidence un style et s'imposera au firmament gastronomique. On vous dira les trois macarons Michelin à Valence puis les adresses à Paris, Londres, Genève, Singapour, Megève et cette constellation de huit étoiles qui la voit devenir cheffe la plus étoilée du monde. On vous dira, on vous dira, on vous dira et on oubliera peut-être d'ajouter que, si la cuisine est un autre éloge du temps, Anne-Sophie y figure en maîtresse des horloges. Car Pic, c'est d'abord une rare dynastie de fourneaux. À rebours, il y eut Sophie, l'arrière-grand-mère, qui ouvrit l'auberge originelle aux routes de la Drôme, André, le grand-père, qui la fortifia dans son terroir, Jacques, le père, qui, en déménageant à Valence, propulsa l'adresse à l'avant-scène, et aujourd'hui la fille qui inscrit la saga aux cimes d'une gastronomie devenue mondiale.
Cette valeur forte (plutôt que refuge) de l'héritage, Anne-Sophie la prolonge dans le devoir de transmission. Là encore, une affaire de temps long, une vertu à durer qui installe le chef parmi les plus grands lorsqu'il se fait un devoir de partager son savoir. Pic de ce côté-là. Il n'y a pas loin d'une génération passée aux maisons de Valence ou d'ailleurs, formée au feu des brigades pour mieux se révéler aujourd'hui en talent de demain ; le dernier en date étant Tom Meyer au Granite à Paris. Un attachement à passer le relais, à éveiller les vocations, à révéler les choses du goût que la “dame de Pic” partage avec ceux qui en sont privés à travers un fonds solidaire et une maison accueillant des enfants souffrant de pathologies liées à l'alimentation. Anne-Sophie Pic, c'est enfin cet élan qui sépare le bon cuisinier du grand chef. Au cadran de ses assiettes, se révèlent des compositions où la technique s'installe sans être jamais démonstrative, où les alliances se veulent frissons plutôt que constructions froides, où produits et saveurs se doivent à l'excellence sans se dénaturer. On dit du temps qu'il est cette image mobile de l'immobile éternité.
Si la cuisine est un autre éloge du temps, Anne-Sophie Pic y figure en maîtresse des horloges
Il y a un peu de cela dans la cuisine d'Anne-Sophie, un mélange pudique et sensible qui remet, à chaque plat, l'ouvrage sur le métier pour mieux l'amener vers de nouveaux horizons. S'en convaincre avec ces fameux “berlingots chèvre, cresson et matcha”, recette qui n'a pas besoin de s'autoproclamer “signature” puisque le public et les saisons en ont fait une référence. Une composition qui invite la caresse au pic de la fourchette. Une de ces émotions que l'on efface en trois petites minutes et dont on se souvient trois jours, trois mois, trente ans. Un moment de table comme ces instants de bonheur aussi éphémères qu'inoubliables.
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