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Charles Vermot : Le sauveur du mouvement El Primero

Modifié le Écrit par La Rédaction
Charles Vermot : Le sauveur du mouvement El Primero
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Quand Zenith décide de mettre à la casse le calibre El Primero en 1976, le Suisse Charles Vermot se rebelle. Il répond : « Non ! » Il faut dire qu'il a déjà vécu - quand il était jeune apprenti chez Martel Watch quelques décennies auparavant -« la mise à la benne » des archives et des outils destinés à la fabrication des calibres pour montres de poche. « Il fallait faire de la place », avait argumenté, à l'époque, la direction de la manufacture. Du coup, ce dernier reste traumatisé par cette perte de « mémoire horlogère ». Devenu ensuite chef de fabrication des ébauches à la manufacture Zenith au Locle, il décide, cette fois-ci, de ne pas rester les bras croisés. Il rédige une grande lettre pleine d'arguments frappés au coin du bon sens, qu'il envoie à ses supérieurs. On peut y lire : « Sans être contre le progrès, je constate que le monde est ainsi fait. Il y a toujours des retours en arrière. Je suis persuadé qu'un jour, le chronographe automatique sera à nouveau à la mode. » La missive ne fait pas mouche. La direction ne daigne même pas y répondre !

Tout l'outillage y compris les étampes devait partir à la benne ! C'était sans compter Charles Vermot...

Alors, Charles Vermot choisit la désobéissance. Il entre en résistance. Ce Jurassien n'est pourtant pas un esprit rebelle. C'est un humble Helvète, un protestant à la vie simple, paisible : une femme, trois enfants. Bon père, bon mari, il possède une jolie maison bien entretenue et un jardin potager dont il s'occupe à ses heures perdues. Sérieux, consciencieux, travailleur, il suit une carrière toute tracée, sans hoc ni hic. Entré à seize ans comme apprenti chez Martel Watch, il poursuit sa route, quand l'entreprise est rachetée par Zenith en 1960. Il est apprécié de sa direction comme de ses collègues qui le surnomment tendrement “Charly”. Et, hormis un caractère un brin têtu, notre horloger ne fait pas parler de lui. Chez Zenith, Charles Vermot fait partie de l'équipe qui travaille sur le calibre El Primero. Il imagine et développe notamment une partie des étampes et autres outils nécessaires à la fabrication de ce mouvement iconique. Bref, cette mécanique, c'est un peu “son bébé”.

Rappelons qu'il s'agit du premier chronographe automatique de l'histoire de l'horlogerie. Pour décrocher ce titre, les équipes qui le conçoivent - et dont Charly fait partie - se sont surpassées. Elles n'ont pas compté leurs heures. La lutte était sévère. A l'époque, Seiko, Heuer et Breitling sont aussi lancées dans la course. En janvier 1969, Zénith présente le El Primero (premier en espagnol comme en esperanto) et coiffe d'un rouage tous ses concurrents. Pour autant, si l'info va marquer le monde horloger, elle passe, en revanche, relativement inaperçue auprès du grand public.

Précis et fiable, ce mécanisme va connaître trois années de succès… avant que tout ne se gâte. La période est charnière. Au début des années 70, la déferlante du quartz submerge l'horlogerie. Les petites montres japonaises conquérantes, aussi précises que fiables, débarquent par cargos entiers.

L'industrie suisse perd 50 % de ses emplois en quelques mois. En 1972, Zenith passe aux mains d'une société américaine, la Zenith Radio Corporation, spécialisée dans l'électronique. Non sans logique, ses dirigeants choisissent de privilégier le quartz et de remiser le El Primero sur une voie de garage… Difficile de leur en vouloir, d'autant que les ventes de l'iconique mouvement s'effondrent. En 1975, la direction prend la “scélérate” décision de détruire les outils de production de “son calibre”. C'est à ce moment-là que Charles Vermot se rebelle. « On m'a dit de stopper la fabrication du El Primero. Ça m'a fait un choc ! A l'époque, seule l'électronique comptait », se souvient-il avec peine.

« Dans ma tête, j'étais sûr que le El Primero allait redémarrer un jour ou l'autre », se remémore l'horloger. Visionnaire, Charly donne alors, une partie de son temps, de sa vie, à sauver ce calibre. Il décide de cacher dans un grenier oublié de tous, sous les toits de la manufacture, toutes les pièces et outils nécessaires à sa fabrication. L'endroit en sous-pente fleure bon le grenier d'autrefois. Charpente apparente et parquet en vieux bois qui craque, l'endroit fait plus penser au dernier étage d'une demeure ancienne qu'au sommet d'une usine de montres. Le soir après son travail, aidé par son frère Maurice, également employé chez Zenith, il monte inlassablement les quatre étages qui le séparent de sa cachette, les bras chargés de cames et d'outils de coupe.

Il va notamment dissimuler 150 étampes, soit une masse d'une tonne d'acier ! Il étiquette, numérote les pièces, il classe aussi les plans du calibre pour que tout soit prêt à reprendre du service. C'est à croire qu'il savait qu'un jour la production du fameux chronographe serait relancée.

“Charly” Vermot décide alors de donner une partie de son temps à sauver ce calibre. Un vrai visionnaire !

Comme un résistant de la guerre de 39/45, Charly prend des risques. Il se met en danger professionnellement. S'il est pris, il sera certainement renvoyé sine die. Il a peur mais y croit. Pour ne pas se faire attraper, il agit de nuit. Cela tombe bien, ses fonctions l'autorisent à posséder les clés de la manufacture. Charles Vermot choisit de tenir son épouse et ses enfants en dehors de cette histoire. Une façon de les protéger pense-t-il. En fait, il va surtout mettre sa vie familiale en danger. Il passe tant de temps à la manufacture, qu'il n'en a plus guère à consacrer aux siens. Sa femme notamment, se pose des questions… Elle ne voit pas qui d'autre qu'une maîtresse pourrait accaparer son mari de la sorte. Le couple se voit fragilisé même si Charly nie toute liaison avec la sincérité de celui qui dit la vérité. Sa tâche de sauvegarde achevée, il mure avec des briques et du ciment l'entrée du grenier. Dès lors, il retrouve une vie tranquille.

Quelques années plus tard, il atteint l'âge de la retraite. Il a tout le loisir de s'occuper de son jardin et de son potager. Circulez, rideau, il n'y a plus rien à voir. Que nenni ! La vie est faite de rebondissements inattendus. En 1978, mal en point, Zenith est rachetée par un consortium d'industriels helvètes. A sa tête, Paul Castella veut relancer la manufacture en s'appuyant sur les calibres mécaniques. Rolex est aussi convaincue de l'intérêt des moteurs horlogers classiques. La marque à la couronne souhaite notamment proposer une version automatique de son Cosmograph Daytona. Elle cherche un mouvement fiable et précis pour le motoriser. Le El Primero a toutes les qualités nécessaires. Il est archi-précis, à haute fréquence. Il bat, en effet, à une vitesse de 36 000 alternances par heure, ce qui rend notamment la course de la trotteuse très fluide.

Le responsable du bureau technique lui dit : « On a besoin de toi, Charly. Il faut relancer le calibre El Primero »

La manufacture genevoise signe pour 10 000 El Primero sur dix ans et se fait un malin plaisir de les transformer à sa sauce. Reste qu'il s'agit d'un contrat juteux pour Zénith ! Quelques mois plus tard, Panerai et Ebel passent eux aussi commande du fameux calibre chronographe maison… mais, pour relancer la production, il faut tout recréer, outillage et procédures. Un sacré défi. Jean-Pierre Gerber, alors responsable du bureau technique chez Zenith, se souvient avoir entendu parler du « mystérieux sauvetage horloger » de Charles Vermot.

Charles Vermot Photo
© DR

Il va donc “extirper” le retraité de son potager. « On a besoin de toi, Charly, lui dit-il. Il faut relancer le calibre El Primero. » Bouleversé et heureux, ce dernier livre alors son secret. Il ne risque plus rien à présent. En 1984, comme dans un conte des Mille et Une Nuits , le grenier au trésor est rouvert. Dans les mansardes, tout est là, bien en ordre, dans d'innombrables étagères, classé, rangé, trié et recouvert d'une belle couche de poussière. Charles Vermot aide à une relance rapide de la production. Il connaît tout cela par cœur. En 1999, Zénith est rachetée par le groupe LVMH qui décide de réserver le calibre El Primero aux montres de la maison.

Le chronographe El Primero est reparti pour un tour. Merci Charles Vermot de l'avoir préservé !

A l'époque, une grosse partie de la production est vendue en externe. Depuis, la manufacture ne cesse de perfectionner son iconique chronographe. Il reçoit moult complications : tourbillon, squelette… Il se voit parer de composants en silicium fort précis. En 2019, le fameux calibre dépasse le million d'exemplaires produits. Pour fêter son cinquantième anniversaire, la manufacture réédite sous l'appellation Chronomaster Revival, les trois premiers El Primero sortis en 1969. Charles Vermot, récemment décédé, peut reposer en paix. Les rouages de son calibre fétiche sont partis pour tourner encore longtemps. Très longtemps.

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