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Les dossiers oubliés de la Monaco

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Est-ce la montre qui a forgé la légende ou bien la légende qui a fait la montre ? La question peut se poser pour la Monaco tant ce modèle lancé en 1969 s’impose comme une icône horlogère absolue. Pour preuve, le journaliste Miguel Seabra a récemment affirmé sur les réseaux sociaux qu’il s’agit selon lui de la montre la plus charismatique de tous les temps au regard de divers facteurs subjectifs. Tout en admettant la controverse. « Je n’affirme pas qu’elle est la plus belle, la plus compliquée ou la meilleure sur un plan mécanique, je dis juste qu’elle est disruptive, iconoclaste, historique, audacieuse par son design puissant et sa forte personnalité. » Et de conclure en rappelant l’effet qu’elle produisit au poignet de Steve McQueen dans le film Le Mans. Cette opinion a pour mérite de nous inciter à effectuer un flash-back vers la fin des années 60, lorsque tout commença pour la Monaco.D’elle, on croit tout savoir. Pourquoi on la nomma ainsi ? Comment son boîtier carré lui permit de se démarquer de la concurrence ? Sans oublier la raison pour laquelle la star américaine la porta à l’écran, lui conférant une formidable notoriété. Pour vraiment tout connaître à propos de la Monaco, il existe un moyen infaillible. S’adresser à celui qui l’a inventée : Jack Heuer. À bientôt 90 ans, l’homme qui dirigea de 1960 à 1982 la maison Heuer fondée par son arrière-grand-père un siècle auparavant conserve toute sa mémoire et sa vivacité d’esprit, racontant avec humour la genèse de cette montre. Est-elle sa plus belle création ? Il avoue avoir toujours ressenti un faible pour deux autres de ses œuvres, l’Autavia et la Carrera. A-t-elle rencontré le succès à sa sortie ? « Vous plaisantez ? Elle n’a eu aucun succès ! En tout cas pas au début », s’exclame-t-il.

Dans le plus grand secret

Le nom Heuer évoque si fortement le sport automobile qu’on pourrait se demander si Jack a lui-même été pilote avant de se lancer dans la réalisation de chronographes dédiés à la compétition. « J’ai bien disputé des courses de vitesse, mais à ski… », plaisante celui qui fut membre de l’équipe suisse lorsqu’il était étudiant. Il a pourtant flirté en deux occasions avec les sports mécaniques : « J’ai participé au Rallye Monte-Carlo, mais à ma manière. En 1957, pour me récompenser d’avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur en exploitation industrielle, mon père m’a offert une MG. En janvier 1958, j’ai décidé de suivre toute l’épreuve au volant de ma voiture pour savoir si des pilotes utilisaient des compteurs ou des montres Heuer. » Cette même année, il participa pour de bon à un rallye organisé en Suisse. Se souvenant de son aptitude à lire les cartes quand il était scout, il choisit de jouer le rôle du copilote-navigateur et laissa le volant à un certain Samuel Heuer, comme il l’explique dans son autobiographie (The Times of my Life). « Nous portions le même nom mais n’appartenions pas à la même famille. Samuel était le beau-fils du propriétaire du garage où mon père faisait entretenir sa Citroën. Nous nous sommes très bien débrouillés jusqu’à proximité de l’arrivée, lorsque je me suis trompé d’une minute dans la lecture du chronographe Autavia-12 heures figurant sur le tableau de bord. Résultat, l’équipage Heuer-Heuer est passé de la première à la troisième place. Cette erreur m’a mis très en colère et j’ai pris conscience du manque de clarté du cadran qui rendait sa lecture difficile dans une voiture de course. De retour à la manufacture, nous avons donc imaginé un nouveau chronographe de bord avec une grande aiguille centrale des minutes ». Ainsi naquit le modèle Autorallye et l’on ne peut s’empêcher de penser que Jack Heuer continua de veiller scrupuleusement à la lisibilité des montres sportives qu’il créa par la suite, l’Autavia version poignet, la Carrera, puis la Monaco. Au-delà des impératifs de visibilité des indications, une autre caractéristique technique allait considérablement influer sur l’existence de ces trois pièces. En 1967, les exportations des chronographes suisses dotés de mouvements mécaniques à remontage manuel souffraient de la concurrence avec les modèles plus classiques, mais automatiques. Les marques helvètes en tirèrent la conclusion qu’il fallait proposer des chronographes automatiques. Et donc les inventer ! Afin de mutualiser les coûts de recherche, Heuer (qui venait de racheter Leonidas), Breitling, Buren-Hamilton et Dubois Dépraz constituèrent une équipe de développement pour atteindre ce but en respectant le plus grand secret. « Tout le monde prêta serment de ne rien divulguer sur ce programme portant le nom de code “Projet 99” ».

Jack Heuer.Credit Photo - DR

Le projet 99

Les premiers exemplaires de ce nouveau calibre automatique furent assemblés au cours de l’été 1968 et chez Heuer, il fut aussitôt décidé d’en équiper leurs chronographes Autavia et Carrera. « Mais nous voulions aussi créer un produit résolument innovant et accrocheur, quelque chose à la limite de l’avant-garde », raconte Jack Heuer qui reçut au même moment une visite répondant justement à son ambition : « Un représentant de l’un de nos fournisseurs de boîtiers de montre, une société appelée Piquerez, est venu nous voir pour nous soumettre des prototypes. Il attira notre attention sur un nouveau boîtier carré breveté, soulignant le fait qu’il était parfaitement étanche. Or les boîtiers carrés n’étaient utilisés jusqu’alors que pour les montres habillées car il était impossible d’assurer leur étanchéité. Cette forme carrée si spéciale nous a aussitôt séduits et nous avons pu négocier un accord nous en assurant l’exclusivité. Cela nous garantissait le fait que Breitling ne pourrait pas présenter une montre de ce genre. Bien que nous ayons coopéré au développement du mécanisme révolutionnaire de remontage automatique à microrotor Calibre 11, objectif central du Projet 99, il ne faut pas oublier que nous étions restés de solides concurrents en affaires ! » Ainsi Jack Heuer parvint-il à réunir un boîtier et un mouvement aussi novateurs l’un que l’autre pour son projet de chronographe automatique avant-gardiste. Celui-ci se révéla d’autant plus surprenant que sa couronne était positionnée sur le côté gauche du boîtier. « Au départ, nous avions pensé qu’une couronne placée là risquait d’avoir un effet étrange, mais nous avons ensuite décidé d’en faire un élément distinctif. » Selon lui, le message subliminal transmis par ce choix était le suivant : « Ce chronographe n’a pas besoin d’être remonté tous les jours car il est automatique et la couronne ne sert qu’à régler l’heure, ce qui oblige de toute façon le porteur à retirer sa montre. »

Jo Siffert et Jack Heuer.Credit Photo - DR

La légende Steve McQueen

Le 3 mars 1969, la maison Heuer présenta donc officiellement trois nouveaux modèles utilisant le Calibre 11 inédit : les versions automatiques de l’Autavia et de la Carrera, ainsi que la Monaco baptisée de la sorte pour une raison fort simple : « J’avais cherché un nom capable de séduire une clientèle prestigieuse. Comme Monte-Carlo était déjà pris, j’ai opté pour Monaco. » Puis arriva le début du mois de juin 1970. Un Américain à qui Jack Heuer avait demandé de l’aider à assurer de la visibilité à sa marque par du placement produit lui adressa un coup de téléphone depuis Hollywood : « J’ai de bonnes nouvelles pour vous. Je m’occupe d’un film dont le titre sera “Le Mans” dans lequel Steve McQueen jouera le rôle d’un pilote. Il me faut des montres, des tableaux de chronométrage, de grands chronographes de poche et tout autre appareillage utilisé dans la course automobile auquel vous pouvez penser. Mais j’ai besoin d’avoir tout cela dans les dix prochains jours car nous allons tourner au Mans dans une semaine ou deux. »En entendant le nom du King of Cool, Jack Heuer se souvient de son excitation. Il demanda que tout un assortiment de pièces soit aussitôt expédié en France. « Nous avons choisi d’envoyer une Carrera, une Autavia et sept Monaco parce que nous en avions beaucoup en stock, à l’époque, personne n’en voulait car son look apparaissait trop novateur. » Les délais étant trop courts pour effectuer les procédures d’exportation, le chauffeur chargé du transport reçut de sa direction l’autorisation de ne pas déclarer sa précieuse cargaison au moment de passer la frontière. « Gerd-Rüdiger fut évidemment contrôlé et la moitié de l’argent que je lui avais remis pour ses frais de voyage fut consacrée au paiement des droits de douane et d’une amende. Mais il arriva à l’heure au Mans et put livrer à temps tout l’équipement à Don Nunley. » Ce collaborateur serviable rencontra même Steve McQueen, ce qui, étonnamment, ne fut pas le cas de Jack Heuer : « Le producteur du film m’a invité à me rendre sur le site de tournage. J’ai rejoint l’aéroport d’Orly où un avion privé avait été affrété pour m’emmener au Mans. J’ai effectivement visité le plateau, mais sans croiser Steve McQueen, il avait bénéficié d’une journée de repos et était parti explorer la région à moto ! » Jack Heuer se consola en déjeunant avec l’équipe, assis à côté d’Elga Andersen, la belle actrice allemande tenant le rôle féminin principal. En guise de préparatifs, le comédien s’était rodé au pilotage en participant à la course des 12 Heures de Sebring, en mars 1970, où il avait d’ailleurs obtenu la deuxième place au volant d’une Porsche 908, associé à l’expérimenté Peter Revson. Mais deux autres champions avaient été chargés par la suite de l’entraîner à la conduite d’une surpuissante Porsche 917, Derek Bell et Jo Siffert, par ailleurs ambassadeur Heuer. La veille du début des prises de vue, Steve McQueen eut à choisir la tenue qu’il souhaitait arborer à l’écran. Il désigna du doigt Jo Siffert en expliquant qu’il voulait lui ressembler. Le pilote suisse courut vers sa caravane pour chercher l’une de ses combinaisons blanches portant un logo “Chronograph Heuer” et la remit à l’acteur. Puis Don Nunley s’approcha avec différentes montres et lui dit : « Maintenant, vous devez en choisir une. » Ce fut la Monaco. Ainsi naissent les légendes.

Steve McQueen et Jo Siffert.Credit Photo - DR

Pour résumer

On pensait tout savoir à propos de cette montre figurant parmi les plus célèbres au monde. Et pourtant, la Monaco possède encore quelques mystères sur lesquels Jack Heuer lui-même lève le voile.

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