La scène se déroule dans le Dorset, dans le sud-ouest de l’Angleterre, durant l’été 2020. C’est dans ce même comté que, 90 ans plus tôt, Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, défiait des avions biplans au guidon de sa Brough Superior, comme il le raconte dans son roman La Matrice. A moins d’une heure du camp de la Royal Air Force de Bovington où l’ancien héros de la Première Guerre mondiale s’était réfugié sous un pseudonyme, se situe l’aérodrome de Henstridge.
C’est là, sur une bande de 750 mètres de long pour 26 de large, la seule piste de décollage conservée (sur cinq à sa construction en 1941) de l’ancien aérodrome militaire utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’un drôle de duo a reproduit cette étonnante course entre un avion et une moto... Lui, Peter Borchert, était dans les airs aux commandes de son biplan Super Pitts, alors que sa fille, Chelsea, fendait l’air sur la terre ferme, accrochée au guidon d’une splendide Rickman Metisse. Une scène immortalisée par Jake Baggaley qui avait lui aussi apporté un trésor issu d’un temps lointain : une authentique et sublime caméra Paillard Bolex 8 mm.
Lorsque l’aérodrome de Henstridge est entré en service, en 1943, les biplans n’étaient plus d’actualité. Les cinq pistes accueillaient les Spitfire et leur version navale, les Supermarine Seafire, les fameux Miles Master de la Royal Air Force ou encore les Hawker Typhoon. Tous de mythiques chasseurs et bombardiers employés par la Royal Air Force qui font aujourd’hui les beaux jours des meetings aériens organisés sur l’aérodrome, dont l’un des faits d’armes fut notamment d’avoir servi de base d’entraînement pour l’utilisation des fameuses “G45 Gun Cameras”, immortalisant sur pellicule les exploits aériens des pilotes de combat, la caméra se déclenchant lorsque le pilote actionnait la mise à feu de ses mitrailleuses.
Si le premier vol du biplan Pitts Special remonte lui aussi à cette période guerrière (1944), la démarche de Peter Borchert était nettement plus pacifique pour ce défi avec sa propre fille... Plus authentique aussi, tous deux prenant les commandes de leur propre engin personnel, restauré
par leurs soins. Le choix d’un biplan était également plus judicieux pour permettre au moteur Triumph de la Rickman Metisse de pouvoir se mettre durant quelques dizaines de mètres à l’aplomb de l’avion, même si le “neuf-cylindres” russe en étoile de près de 400 chevaux n’a pas laissé beaucoup de répit au bicylindre parallèle de 650 cm3 de la moto...
La maniabilité de cet avion de voltige, qui a dominé les compétitions aériennes dans les années 60 et 70 alors que la Rickman Metisse accumulait les récompenses sur terre, a tout de même facilité la tâche du photographe, lequel n’a pas manqué son étonnant shooting.
L’histoire de ce défi, c’est avant tout l’histoire de la transmission d’une passion entre un père et sa fille. Une passion mécanique que Peter Borchert a poussée jusqu’à son sommet avec la construction de cet avion de voltige qui lui a pris cinq longues années pour un temps cumulé qu’il estime à près de 5 000 heures de travail. « À une moyenne de trois heures par jour », précise-t-il. Avant de répondre à la question première :
“Mais pourquoi construire un avion ?” « Premièrement, je m’intéresse à la technique et l’ingénierie des aéronefs. Durant mes trente années de vol, je me suis passionné pour tout ce qui est généralement équipé d’un moteur à combustion interne : en tant qu’écolier, l’excitation de maîtriser les commandes d’une tondeuse à essence (terrifiante) ; plus tard, grandir dans une ferme, conduire un tracteur. Ces premières expériences ont inspiré une vie de relations avec les machines : motos, voitures puis avions. Pour moi, devenir pilote et maîtriser une machine volante était et reste la relation ultime que vous pouvez avoir avec une machine. »
Mais avant de construire son avion, Peter avait pris soin de transmettre sa « relation avec les machines » à sa fille. Chelsea se souvient de tout :
« Depuis mon plus jeune âge, j’adore les motos. Quand j’avais sept ans, un voisin m’a offert une 50 cm3. Je ne sais pas trop de quoi il s’agissait, je me souviens qu’elle était jaune... Puis, à huit ans, mon père et moi avons acheté une Yamaha DT 90 pour moi et mon frère. J’avais l’habitude de parcourir des kilomètres le long des anciennes routes près de notre maison et à travers les terres agricoles avec mon Jack Russell sur le réservoir. Je me souviens bien de cette période. Et puis, j’ai toujours aimé les motos classiques, en particulier les scramblers. Mon père possédait une Rickman Metisse originale de 1962 qui me fascinait... »
Chelsea a une révélation lorsqu’elle réalise que Wasp Motorcycles, qui était à dix minutes de chez ses parents et fabriquait les fameux cadres Metisse, proposait le kit MKIII Metisse.
« C’est à ce moment que nous avons décidé d’en construire une ensemble et que j’ai commencé à passer tout mon temps libre dans son atelier. Mon père venait de terminer la construction d’un biplan, un Pitts Special Model 12, donc les locaux étaient entièrement équipés et disposaient même d’une cabine de peinture. Mon père est un perfectionniste, tout est super bien rangé, tout est à sa place et encore mieux, c’est chauffé. Lorsque papa a décidé de construire l’avion, il a tout d’abord isolé le garage, cela a fait une grande différence en partant travailler sur la moto pendant ces froides soirées d’hiver. »
Chelsea se pique pour l’histoire des frères Rickman, qu’elle aura le plaisir de rencontrer en personne, et se débarrasse de sa Honda CB 400 pour acheter une Triumph Thunderbird de 1966 dont le twin va motoriser “sa” Metisse.
« La seule chose dont j’avais besoin sur cette moto était le moteur et le numéro de série. Nous avons révisé entièrement le moteur, tout ce qui était légèrement usé a été remplacé et je l’ai fait reconditionner avec une faible compression. »
Quant au kit MKIII fourni par Wasp Motorcycles, il comprenait le réservoir en fibre de verre, les carénages, la boîte à air, la selle, le bras oscillant, les repose-pieds, la béquille et le tendeur de chaîne, sans oublier la pièce maîtresse : le somptueux cadre tout neuf en tubes chromés (référence 4130), avec raccords de soudure en bronze, le tout parfaitement nickelé.
Lorsque les frères Rickman proposent ce cadre au début des années 60, il s’agit d’une véritable révolution, les tubes nickelés de gros diamètre garantissaient rigidité et solidité, et l’idée d’utiliser ce même cadre comme réservoir d’huile permettait de gagner de la place pour utiliser un filtre à air plus grand, parfait pour les courses de désert auxquelles étaient parfois destinées ces machines.
