L'atelier du temps : artisan rhabilleur
Depuis plus de trente ans, Erick Elbeck ressuscite ces horloges, pendules, coucous et toquantes d'un autre siècle qui marquent le tempo de nos vies de famille. Par Carole Lars Huyvenaar.

Erick Elbeck, horloger à Avignon, restaure depuis trente ans montres et pendules anciennes, perpétuant un savoir-faire rare pour préserver un patrimoine familial chargé d'histoire.
Au 59 de la rue des Fourbisseurs en Avignon, la façade de l'Atelier du Temps semble tout droit sortie d'un film des années 50. Lunette vissée sur l'œil, Erick Elbeck est plongé dans les entrailles d'un coucou suisse qui a survolé le XXe siècle pour atterrir sur l'établi de sa petite boutique au charme suranné où s'entasse un joyeux bric-à-brac de montres, réveils, pendules, coucous, carillons du XIX et du XXe en bois, en marbre, en bronze rescapés de décennies presque oubliées. Sans omettre les horloges, robustes comtoises au cadran émaillé offertes en cadeau de mariage, qui ne sauraient tenir sur l'établi et se pressent le long des murs.
Depuis trente ans, Erick Elbeck vend, rénove, répare, restaure ces objets d'un autre temps, souvent de modestes trésors de famille. Comme ces comtoises, devenues trop encombrantes dans leur armoire de bois ciré, qui faisaient battre le cœur de la ferme des grands-parents et qui se sentent parfois bien à l'étroit dans nos maisons trop petites, où l'on ne supporte plus leur tic-tac lent mais implacable qui nous rappelle que le temps s'écoule, inexorable.
Les rescapées sont souvent condamnées au silence, comme ces pendules un brin démodées accrochées au mur ou posées sur la cheminée, quand il en reste une. « J'en répare une dizaine par an. Les gens y tiennent, ils ne veulent pas s'en séparer. Du coup j'ai du travail toute l'année » commente Erick Elbeck, avec le regard pétillant d'un éternel ado sous son casque de cheveux bouclés.
Les gens ont des pendules, des montres de leurs parents ou de leurs grands-parents, c'est un patrimoine qu'il faut préserver.
Erick Elbeck

Artisan rhabilleur de père en fils
À 14 ans, il ne se voyait pas passer sa vie derrière un établi mais le destin en a décidé autrement. Pouvait-on laisser ces modestes trésors familiaux s'éteindre et avec eux, tout un passé s'effacer ? À l'évidence, Erick Elbeck est un gardien du temps. Un gardien de mémoire. « Ça a été conçu pour être réparé. Ça s'use au fil des décennies. Ça a marché une génération, deux générations. Je fais ce qu'il faut et ça repart…» commente-t-il, modeste.
Les pendules restent chez lui en convalescence quelques mois, quatre ou cinq parfois, avant de retourner dans leurs familles, prêtes à traverser un siècle de plus, témoins éternels des générations qui se succèdent et de la vie qui passe. « Je suis artisan horloger rhabilleur. On n'est pas nombreux » constate-t-il avec une forme de fatalisme. Quand ce petit-fils et fils d'horloger - c'est génétique paraît-il - s'est installé en Avignon en 1989 avant d'ouvrir sa petite boutique de réparation de pendules et montres anciennes en 1994, ils n'étaient que trois en ville. Trente ans plus tard, il ne reste plus que lui.
Pour quelques années encore dit-il, mais le bouche-à-oreille a fait son travail et l'ouvrage ne manque pas. Le laissera-t-on partir ? Qui s'occupera de ces vénérables gardiennes du temps condamnées à l'oubli faute de soins attentifs ? Montre automatique, montre de gousset ou de col, montres pour dames, montres des années 30-50, 60 ou pièces contemporaines se bousculent sur son établi à raison de 15 à 20 par semaine. Il déshabille, répare, remplace un bracelet ou une pile.
Héritage familial
« Les gens ont des pendules, des montres de leurs parents ou de leurs grands-parents. Des jeunes de 20 ou 30 ans apprécient d'avoir des montres mécaniques des années 50- 60 » constate l'horloger, heureux de passer le témoin à une jeune génération respectueuse de ces objets qui portent en eux la mémoire d'une époque révolue. « C'est un patrimoine qu'il faut préserver » poursuit-il. Si le destin nous réserve une mission de vie, Erick Elbeck a trouvé la sienne. Il lui faut traquer la panne, détecter la subtile arythmie, patiemment. Démonter, attendre. Remonter.
Attendre encore. Parfois une fois accrochée, la pendule qui donnait gaillardement de la voix sur l'établi refuse de sonner. C'est sensible ces petites choses-là. « À deux ou trois millimètres près, l'inclinaison n'est pas la même. » Un déménagement, un changement de place et l'ancienne s'offusque, alors le plus souvent il va installer lui-même ces pendules pour s'assurer que tout va bien. « Après on est content. Il faut y aller tranquillement . » Ce qu'il préfère ? Le temps qui s'exprime, avec une affection particulière pour les automates. « J'aime ce qui sonne comme un carillon Westminster qui fait Big Ben tous les quarts d'heure, les montres de gousset qui sonnent... » Des spécimens rares aussi loin de la Suisse.
Ça a été conçu pour être réparé. Ça a marché une génération, deux générations. Je fais ce qu'il faut et ça repart…
Erick Elbeck

Erick Elbeck n'en voit pas souvent mais il a tous les outils nécessaires pour en prendre soin. Quand il ne les a pas, il les fabrique. Le coucou qui attend son heure sur l'établi a tout pour lui plaire.
« La scie du paysan s'anime de gauche à droite, à gauche du cadran la roue à aube tourne à chaque heure, et la porte au-dessus du cadran s'ouvre et l'oiseau sort, à la demie il sonne une fois, à trois heures il sonne trois fois. Les personnages tournent sur eux-mêmes et font une ronde. Il y a une boîte à musique avec une mélodie romantique et trois poids en dessous. Il faut les remonter une fois par jour et c'est reparti pour 24 heures. »
Il lui faudra s'en séparer bientôt car il est presque prêt. « Je le rends au mois de mai » semble-t-il regretter. On dirait qu'il va lui manquer. « Je ne fais pas exprès. J'y passe du temps. »
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