Julien Roucheteau : devoir de réserve
Prendre des risques, parfaire, sublimer un produit, atteindre des sommets, recommencer. Y aurait-il quelques analogies entre gastronomie et moto ? Le temps d'une interview, Julien Roucheteau, Meilleur Ouvrier de France et chef étoilé de La Table des Rois, nous donne des éléments de réponse. Par Arnaud Choisy.

Si la moto était un plat ou une saveur ? Ce serait un fumet. Pour l'adrénaline, l'odeur du goudron et des pneus brûlants, l'échappement qui dit tout dans les oreilles, pour le vent de liberté. » Julien Roucheteau nous a accueillis dans le Sud mais sans accent, pour nous raconter son histoire, son parcours gourmand, sa passion vraie pour la moto.
Celui qui roule aujourd'hui sur BMW S1000 RS - un jus bien concentré d'adrénaline dirait-on en cuisine - n'a pas choisi la livrée bleu-blanc-rouge au hasard. Elle fait référence à sa volonté de décrocher un titre convoité et obtenu seulement des meilleurs. « J'ai raté le titre de M.O.F. quelques années auparavant mais, soutenu par Laure mon épouse, je me suis réinscrit en 2017. La moto est de la même année, je me suis dit que sa couleur me servirait de porte-bonheur pour pouvoir enfin porter le col tricolore. »
Il n'y a que dans l'entraînement, la remise en question et l'opiniâtreté qu'on atteint les sommets. Rarement ascension réussie ou podiums victorieux ne s'obtiennent sans progression ou solides et constants efforts. En cuisine comme à moto. Les débuts, incertains, modestes, ne deviennent métier que bien plus tard. Là, un pilote champion du monde de Moto GP, ici, un chef étoilé. Beaucoup de prétendants, peu d'élus.
Pour notre chef, l'histoire prend racine non loin d'un Mans sarthois célèbre pour son circuit, sa volaille de Loué, ses rillettes. Élevé par ses grands-parents, il atterrit tôt en région parisienne, dans le 93. Pourtant bon, le jeune Julien s'ennuie scolairement autant qu'un plat de blettes cuites à l'eau déminéralisée. Sa mère le trouve gourmand, le pousse en formation pro mais interdit le deux-roues motorisé : « Le jour où tu achètes une moto, je t'achète le cercueil qui va avec ! » se souvient-il en souriant.
Si la moto était un plat ? Ce serait un fumet. Pour l'adrénaline, pour le vent de liberté.
Julien Roucheteau

Cuissons, chutes et cylindrées
Première pâte sablée, premières cuissons, premières recettes. Ses papilles découvrent les coulisses du monde salé et sucré. En week-end, en vacances, il retrouve son oncle commissaire de course au circuit des multiples 24 H : auto, moto, camion. Scolarisé à l'école Ferrandi, apprenti de La Maison de l'Aubrac, ses économies lui font passer le permis, acheter sa première moto, une XT 600 E. C'est aussi lors d'un de ses passages autour de la célèbre boucle qu'il rencontre sa motarde, Laure, qui deviendra son épouse.
C'est l'âge des balades nantaises, du baptême des meules à Porcaro. La Yam' passe le relais à une valeur sûre de l'époque, une Kawa 500 GPZ S. Julien tape fort, sa mère s'évanouit aux urgences, il en ressort sur chaise roulante mais sans perdre l'usage de ses jambes. Le carton ne guérit pas la maladie, la brêle est réparée. Comme un tartare légèrement poêlé en aller-retour, il revient chez Kawa, opte pour un Z1000. Ferrandi le place aux cuisines du Sénat.
Il monte en gamme, au service de la présidence, des sénateurs, des têtes couronnées de passage. De la cuisine auvergnate familiale, il passe au sur-mesure, apprend le service à la française. Le motard prend des tours, le cuisinier généraliste devient spécialiste. Ses chefs font son éloge, se parlent entre eux, le placent sous la houlette de Philippe Legendre à la réouverture du George V. Il est le second commis d'une brigade de soixante. La belle Kawa est hélas repérée puis… volée. Aussi amer que le fiel, il se résout à passer sur un utilitaire scooter.
Je suis un fils du Mans, fan de Moto GP et depuis peu, je prends des cours de piste au Castellet avec Philippe Monneret.
Julien Roucheteau

Chef de course
La perte d'équilibre est compensée par une ascension professionnelle constante. Michel Troisgros lui fait reprendre le Lancaster. L'étoile est conservée, la seconde est décrochée l'année suivante. 2015 est aussi l'année qui lui fait atteindre la seconde marche du M.O.F. C'est le repli sur soi, sur le bistrot de Levallois-Perret ouvert en 2013 avec son épouse. Claquement de doigts, deux ans passent, l'opportunité de se relancer pour dix mois de concours et, peut-être, pouvoir arborer le col tricolore : « S'inscrire au M.O.F. est une véritable remise en question de soi. Tout en restant simple, j'ai eu la chance de toucher l'excellence par deux fois dans ce concours. »
À quarante ans, Julien Roucheteau se demande ce qu'il va faire de ce titre. Une S 1000 RS qui porte chance et un coup de fil bousculent tout. « En 2018/2019, je prépare mon concours dans les cuisines de la Scène Thélème en bas des Champs-Élysées. Nous subissons les fermetures, les manifs - que je comprends, mais les émeutes, la violence, la jalousie et le manque de respect, ça ne passe pas. »
L'appel venu du Sud lui fait quitter un Paris devenu insupportable. Entre Nice et le Cap d'Ail, là où la Méditerranée compose avec l'intégralité d'une palette d'ocre, de vert et d'azur, une belle demeure, une adresse : La Réserve Beaulieu. Bâti en 1880, le palace est d'exception, propose chambres et suites, un restaurant - La Table de la Réserve - et un étoilé du redoutable “Guide Rouge” qui n'a aucun lien avec une quelconque révolution populaire d'Asie : La Table des Rois.
En prenant les commandes, une première étoile est attribuée, la deuxième… se réfléchit, se travaille. La vapeur quant à elle se relâche sur circuit. « Je suis un fils du Mans, fan de MotoGP et depuis peu, je prends des cours de piste au Castellet avec Philippe Monneret. » Angle, prise de décision, respect, exploitation superbe du produit, engagement, précision, erreurs, ratés. .. M.O.F. pourrait aussi être, un peu, l'acronyme de Motard Origine France.
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