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Laurent Grasso x Bulgari : la tête dans les nuages

Entre art contemporain et haute horlogerie, Bulgari s'associe à Laurent Grasso pour réinventer son emblématique montre Octo Finissimo. Une collaboration où le temps devient matière à création. Par Camille Bois-Martin.

Modifié le Écrit par La Rédaction
Laurent Grasso x Bulgari : la tête dans les nuages
Photos François Darmigny et DR
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Des plus grandes célébrités du moment (telle la chanteuse Lisa) aux créateurs de mode et artistes en vogue (telle Mary Katrantzou), la maison Bulgari revisite son riche patrimoine joaillier et horloger au gré de nombreuses collaborations. À l'image de son incontournable montre Octo Finissimo, repensée cet automne par le plasticien français Laurent Grasso. Rencontre.

Avez-vous une limite de pages pour votre article ? Car je peux parler longtemps, très longtemps… ironise Laurent Grasso au début de notre entretien quoique plutôt sérieusement. Entre les murs de ses bureaux parisiens, l'artiste nous invite autour d'une large table, où sont posés ci et là une œuvre encadrée, un livre sur son dernier projet et quelques cafés.

Habitué des collaborations (il prête les motifs de sa série Studies into the Past à Nicolas Ghesquière pour Louis Vuitton, qui les transforme en imprimés sur son dernier défilé), ce dernier n'en accepte pourtant qu'une petite poignée.

Le rapport à la création réside dans l'intuition, l'accointance. Toute collaboration intéressante naît d'une rencontre.

Laurent Grasso
Laurent Grasso x Bulgari : la tête dans les nuages
Photos François Darmigny et DR

Une rencontre créative avec Bulgari

« Le pivot de toute collaboration, c'est l'échange entre le directeur artistique et le créateur. S'il est basé sur une stratégie marketing, sur un échange de notoriété, ça ne fonctionnera pas. Le rapport à la création réside dans l'intuition, l'accointance. Toute collaboration intéressante naît d'une rencontre. »Alors, lorsqu'il est introduit à Fabrizio Buonamassa Stigliani (directeur de la création horlogère de Bulgari) via la galerie Perrotin qui le représente, Laurent Grasso découvre une vision « humaine » qui le met en confiance et l'incite à accepter cette collaboration.

Leur point commun ? Une envie sincère d'inventer de nouvelles choses plutôt que de simplement les répéter. Fils de parents italiens, le plasticien retrouve dans la maison horlogère ses liens avec son pays et son parcours, jalonné d'une résidence à la Villa Médicis et de beaucoup de temps passé dans les rues de Rome. « L'Italie est une sorte de poche d'inspiration infinie pour moi, un voyage dans l'histoire. On y trouve cette collision temporelle et ces allers-retours entre le passé et le futur qui me nourrissent. »

Tout comme le design de l'Octo Finissimo s'inspire des coupoles octogonales des plus beaux bâtiments de la ville, les œuvres de Laurent Grasso puisent dans son histoire (Soleil double, 2014) et dans le travail des maîtres qui y ont vécu ou y sont exposés, de Giorgio De Chirico à Paolo Uccello ou Sandro Botticelli. Mais, plus que son lien avec l'Italie, c'est surtout l'univers de l'artiste qui attire Bulgari : questionnant le concept du passage du temps et s'intéressant aux phénomènes rares voire imaginaires, ses créations sont elles-mêmes des petits cosmos artistiques, où chacun perd ses repères.

Une montre inspirée du temps et de la lumière

Pour le projet que lui soumet le célèbre horloger, une image lui vient alors immédiatement en tête, celle d'un nuage iridescent. « Au début de ma réflexion, j'ai imaginé une sorte de tache colorée, comme une aura. J'ai toujours trouvé cette idée intéressante à matérialiser, et j'ai pensé que cette collaboration serait l'occasion parfaite. » Ce nuage aux couleurs arc-en-ciel, causé par la diffraction de la lumière sur des cristaux de glace, devient ainsi le motif de sa montre pour Bulgari. « C'est un phénomène fugace, qui donne presque une impression d'hallucination , évoque l'artiste. J'aime particulièrement ce rapport au réel où on est face à une espèce de miracle, d' étrangeté qui nous fait nous demander si ce qu'on voit est bien vrai. »

Laurent Grasso conçoit alors la montre comme « un récipient scientifique », un bocal, dans lequel serait emprisonné son dessin d'un nuage iridescent. Flottant à la fois sur et sous les aiguilles, la palette chromatique multicolore du motif se détache sur le modèle en titane bleu et semble presque voler sous la vitre du cadran. Derrière ce trompe-l'œil redoutable se cache une technique fréquemment usitée par le plasticien, consistant à imprimer ses motifs avec une faible opacité pour laisser transparaître le fond, et dérouler cette sensation de légèreté. « Cette technique évoque un rapport au réel que l'on retrouve dans mon travail, cette superposition de réalité et de temporalité. »

Pour Laurent Grasso, la question du rapport au temps est centrale dans ses œuvres. Figeant des phénomènes éphémères en sculpture et voyageant à travers les époques en peinture et en vidéo, il étire les jours, les mois, les décennies et les siècles au profit d'une toute nouvelle réalité, distendue et quelque peu désorientante. « Dans mes expositions, j'essaye de faire sortir les visiteurs de leurs données culturelles et des cadres actuels que nous utilisons pour mesurer le temps. Cela permet d'appréhender les choses autrement. Notre façon de mesurer le temps est totalement fictionnelle. » Une conception presque anachronique, qui ajoute une dimension à la fois scientifique et déroutante à cette montre qu'il imagine pour Bulgari…

Mais, pour réunir ce motif et ce concept imaginés par Laurent Grasso, propres aux œuvres de Laurent Grasso, s'est posée la problématique de l'ancre et des couleurs possibles en horlogerie pour arriver à un tel résultat, bien plus difficile sur une matière aussi résistante. « Il y a eu beaucoup de tentatives, de recherches. C'est à ce moment du processus que j'ai découvert toute l'histoire et le savoir-faire de Bulgari », nous avoue-t-il. Plongé parmi les petites mains qui peuplent la manufacture de Neuchâtel, en Suisse, il apprend alors tous les rouages et les mécanismes qui sous-tendent la création d'une montre aussi précieuse que l'Octo Finissimo.

« Je n'avais absolument pas conscience de tout ce qui se cache derrière la fabrication d'une montre. À titre personnel, je n'en porte même pas !, précise-t-il avec humour. J'ai aperçu le côté complètement obsessionnel, voire irrationnel de cette fabrique et de cette tradition, où chaque minuscule pièce est polie avec soin. Loin de porter un jugement péjoratif, je me suis dit qu'il y avait quelque chose d'absurde, de fou mais surtout de fascinant dans cet atelier. En fait, c'est pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

Je peux passer autant de temps à travailler sur une exposition que sur une montre.

Laurent Grasso
Laurent Grasso x Bulgari : la tête dans les nuages
Photos François Darmigny et DR

De l’objet d’art au bijou de collection

Sous l'œil et les connaissances avisés des artisans Bulgari, son projet de nuage emprisonné dans un cadran se matérialise. « Rien ne leur fait peur » évoque Laurent Grasso à propos de ces derniers. Sur près de deux ans, l'idée à l'origine de l'élaboration de sa montre et son design final n'évoluent pas d'un iota. Pour Laurent Grasso, concevoir une montre ou une œuvre ne fait aucune différence : peu importe la taille du projet, son implication et son imagination restent les mêmes. Produite en série limitée seulement 200 exemplaires, la montre Bulgari x Laurent Grasso offre l'occasion de s'offrir une création de l'artiste, et de la porter chaque jour à son poignet. Mais il ne s'agit pas tellement d'une version “accessible” de son travail : « Cette montre est vendue au même prix que certaines de mes œuvres » précise-t-il en effet.

Un concept d'accessibilité bien connu du plasticien, qui explore depuis plusieurs années les possibilités de s'offrir du Laurent Grasso selon les budgets. « De la même manière que les grandes marques de mode font de la haute couture et du prêt-à-porter, je vends des produits dérivés de mes œuvres, entre bougies et posters signés ou non. » Et ce n'est pas pour autant qu'il s'implique moins dans ces derniers projets et dans ses collaborations. « Je peux passer autant de temps à travailler sur une exposition que sur une montre , avoue-t-il. Quand on a cet acharnement, cette espèce de névrose du travail, rien ne sera fait simplement, peu importe la taille du projet. »

D'une toile à un bijou, Laurent Grasso s'implique donc tout autant, considérant qu'un artiste a vocation à « fabriquer quelque chose qui n'a pas nécessairement de fonction, qui ne sert à rien. » Pour exister, un plasticien doit donc embarquer son public dans un univers, qui attire des musées mais aussi des maisons comme Bulgari pour partager les imaginaires créés par ce dernier. « Une œuvre d'art va rayonner par elle-même, et accueillir dans son histoire les souvenirs et les émotions de ceux et celles qui la regardent. Un objet comme une montre se charge, lui, d'une histoire familiale, d'un magnétisme presque similaire. » À l'image de sa propre création pour la maison italienne, qu'il léguera peut-être plus tard à son fils… « C'est une belle idée », surenchérit-il en souriant.

Quand on a cette espèce de névrose du travail, rien ne sera fait simplement, peu importe la taille du projet.

Laurent Grasso
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Photos François Darmigny et DR

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